Un serviteur qui met de l'eau dans son vin !
Ce tableau de Théodore Rombouts (1597-1637) représente un échanson qui, d’un geste ample, verse l’eau d’une aiguière dans un « roemer », verre employé au XVIIe siècle pour la dégustation des vins de Moselle. Son regard complice et le jet d’eau ininterrompu donnent l’impression d’une scène saisie sur le vif.
Dépassant le naturalisme de la représentation, l’historienne de l’art Sophie Raux1 propose d’interpréter l’œuvre comme une allégorie de la Tempérance, vertu cardinale qui recommande aux hommes d’être modérés dans leurs mœurs et dans leurs propos. Dans l’iconographie traditionnelle, la Tempérance est représentée sous les traits d’une jeune femme vêtue à l’antique qui verse de l’eau dans un récipient. En remplaçant la figure féminine par un homme, Rombouts actualiserait cette allégorie en lui donnant les traits d’un serviteur habillé à la mode de son époque.
Comme le suggère Sophie Raux, l’œuvre peut prétendre à une interprétation symbolique. Son sujet s’inspire vraisemblablement du recueil d’emblèmes Sinnepoppen de Roemer Visscher (1547-1620). Cet ouvrage, très célèbre en son temps, regroupe des textes et des maximes à dimension morale, accompagnés de gravures illustratives. Le sens de la modération y est figuré par l’acte de couper du vin avec de l’eau. Il est accompagné d’un dicton comparable à l’expression française : « mettre de l’eau dans son vin » (ill. 1). Versant lui-même de l’eau dans un verre à vin, l’échanson peut s’interpréter comme un appel à la tempérance.
◄ ill. 1 : Emblème du livre de Roemer Visscher, Sinnepoppen, p. 62 ; Gravure, 1614. Inscription : Elck Wat wils (Chacun ses goûts).Bibliothèque universitaire de Leyde Lien
Le « verseur » est un motif récurrent dans la peinture des Anciens Pays-Bas. Il figure souvent dans les scènes de taverne en contrepoint à un groupe d’ivrognes. Dans un tableau d’Anthonie Palamedes (1601-1673) conservé au Musée des Beaux-Arts de Dunkerque, il s’isole du vacarme ambiant en tournant le dos aux autres protagonistes. L’œuvre de Rombouts est donc originale à plus d’un titre. D’abord, car elle prend l’échanson comme sujet principal mais, surtout, car elle présente sans tapage une mise en garde morale dans une scène apparemment triviale.
1 Sophie Raux, « L’échanson de Théodore Rombouts : une allégorie de la Tempérance dévoilée », Gazette des beaux-arts, Paris, avril 1993, pp. 191-204.
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Références bibliographiques
Sophie Raux, « L’échanson de Théodore Rombouts : une allégorie de la Tempérance dévoilée », Gazette des beaux-arts, Paris, avril 1993, pp. 191-204.
Guy Blazy (sous la direction de), 1982 – 1992, Fram, 10 ans d’acquisition pour les musées de la région Nord – Pas de Calais, Association des conservateurs des musées du Nord – Pas de Calais, 1994 (l’œuvre est reproduite et commentée p. 264).
Alexandre Holin pour l'ACMHDF
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