Boulogne : un patrimoine en éclat
Inauguré en 1825, le musée de Boulogne-sur-Mer possède des collections variées qui reflètent sa situation de ville portuaire. Les Beaux-arts y côtoient de riches ensembles archéologiques, ethnographiques et de sciences naturelles. C’est cependant son inestimable collection de vases grecs, la deuxième de France après le Louvre, qui en fait sa notoriété : des œuvres dont la fragilité fut mise à rude épreuve par les bombardements de la ville en 1918.
Les céramiques grecques du musée de Boulogne-sur-Mer sont d’inestimables témoins de la vie quotidienne, des croyances et des échanges culturels dans l’Antiquité. Lorsqu’elles entrent au musée en 1861, suite au rachat d’une partie de la collection de l’éditeur parisien Charles-Louis-Fleury Panckoucke, ces objets archéologiques présentent pourtant l’étonnante qualité d’être intacts.
D’où proviennent les fissures et les trous qui zèbrent aujourd’hui leur surface ?
Septembre 1916
En pleine guerre, le musée reçoit un cadeau inespéré : le don de près de 900 œuvres et objets légués par voie testamentaire par Charles Lebeau, grand amateur d’art boulonnais. Conformément à ses vœux, la collection qu’il a patiemment rassemblée ne sera pas démantelée. La donation comprend, en plus d’un ensemble très important de céramiques françaises et étrangères, des tableaux et des dessins de l’école française qui donnent un excellent panorama de l’évolution de la peinture au XIXe siècle avec des œuvres de Jacques-Louis David, Pierre-Paul Prudhon, Louis-Léopold Boilly, Eugène Delacroix, Camille Corot, Gustave Courbet, Eugène Boudin, Henri Fantin-Latour, etc. Deux belles estampes de Rembrandt complètent l’ensemble. (►La collection Lebeau sur Musenor)
Même si les combats ont lieu loin de Boulogne, le Conseil Municipal a décidé de ne pas présenter tout de suite, par précaution, cette exceptionnelle donation. En attendant, elle reste enfermée dans la bibliothèque, loin des yeux du public.
13 juin 1917
Le général américain John Pershing vient de débarquer à Boulogne-sur-Mer. Il est accueilli par un véritable triomphe. L’intervention américaine ravive l’espoir dans le camp allié, alors que la violence de la bataille du Chemin des Dames fait naître la révolte chez les soldats français.
Arrivée du général Pershingà Boulogne-sur-Mer, 13 juin 1917, photographie de presse, Agence Rol. © Bibliothèque Nationale de France
La Grande Rue de Boulogne-sur-Mer en 1911, où était situé le musée, Carte postale ancienne éditée par B. M., n°555.
En paradant sur la Grande Rue, Pershing passe devant le musée, alors situé juste devant l’Hôtel Dervaux qui accueille l’état-major britannique.
Mai 1918
La grande offensive du printemps lancée par l’armée allemande est en train d’échouer dans l’Aisne et dans les Flandres, le front qui s’était rapproché s’éloigne de nouveau. La victoire alliée semble envisageable.
Le musée poursuit toujours ses missions : il est ouvert au public et ses collections sont préservées. Les céramiques grecques se trouvent dans une salle au sous-sol, les tableaux dans une salle à l’étage. Le centre de Boulogne est relativement épargné. L’artillerie allemande est loin, à plus de 80 kilomètres, et ne cesse de reculer.
Juin 1918
Les murs du musée tremblent et des bruits d’explosion détonnent. Les officiers britanniques installés juste en face, à l’Hôtel Dervaux, attirent des bombardements aériens. Une demande d’évacuation a été faite au Service d’évacuation et de protection des œuvres d’art du front Nord.
23 juillet 1918
Ce service a envoyé des inspecteurs au musée pour évaluer la situation. Ils ont promis de revenir le plus tôt possible pour sauver les œuvres majeures.
2 août 1918
Une torpille a traversé le toit d’une aile du musée la nuit dernière : elle a détruit trois étages, la toiture s’est effondrée sur la salle des céramiques grecques, réduisant en morceaux un grand nombre d'entre elles.
Musée de Boulogne après le bombardement du 1er août 1918. © Archives municipales de Boulogne-sur-Mer
La vision est terrible : le reste de tableaux déchirés et de vases brisés se confond avec les débris du musée. Plus de 200 tableaux ont été endommagés ou détruits.
8 août 1918
Les œuvres rescapées sont enfin évacuées par le Service français de protection et d’évacuation des monuments et objets d’art : elles partent pour le dépôt d’Abbeville dans la Somme, où elles sont mises en sécurité.
1919
Atelier de restauration des céramiques grecques après la guerre 14-18, Boulogne-sur-Mer, Musée.
La guerre finie, la reconstruction du musée n’est pas la priorité : il faut d’abord loger et nourrir les habitants. Les vases sont assemblés dans un atelier par Edouard de Jenlis, conservateur adjoint. Il faut des décennies d’un travail minutieux et patient pour que la collection puisse être de nouveau exposée. Certaines céramiques ont juste quelques cicatrices, d’autres sont partiellement défigurées, quelques-unes ne sont plus qu’un souvenir sur une page de l’inventaire du musée.
Bibliographie non exhaustive
Céline Ramio, Histoire de conservation. La conservation matérielle des collections du musée de Boulogne-sur-Mer. Mémoire de muséologie de l’École du Louvre, mars 2006
Philippe Delpierre, « Les vases brisés », Bobonia. Bulletin de l’association des amis des musées de Boulogne-sur-Mer, n° 35, 2e semestre 1999
Jules Paublan, Histoire de Boulogne-sur-Mer. Récits, faits, considérations, 1939
Camille Morel, Henry Ménétrier, Guide illustrée de la Collection Charles Lebeau, Musée des Beaux-arts et d’Archéologie de Boulogne-sur-Mer, 1926.
Jérôme Fourmanoir, « Le musée de Boulogne-sur-Mer et la guerre 1914-1918, une succession de malchances », conférence donnée à Lille 3 le 14 novembre 2014.
ACMNPDC