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Nature morte et objets

CHARDIN Jean-Baptiste, Les Apprêts d'un déjeuner (18e siècle) - Lille, Palais des beaux-arts
 
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© Hugo Maertens (Photographe)
CHARDIN Jean-Baptiste, Les Apprêts d'un déjeuner (18e siècle) - Lille, Palais des beaux-arts

Nature morte et objets

De l’Antiquité à la période contemporaine, la nature morte a souvent été considérée comme un genre mineur et a souffert de connotations péjoratives. Paradoxalement, l’admiration pour la virtuosité illusionniste dont elle découle et la richesse de sens dont l’a dotée la tradition classique en font un mode d’expression complexe prisé tout à la fois des peintres et des amateurs.

Un genre difficile à nommer  

 La représentation des objets inanimés a longtemps souffert de considérations négatives.  Au premier siècle de notre ère, Pline l’Ancien (23 ap. J.C. - 79 ap. J.C.) parle déjà de « rhyparographie » (représentation d'objets vils) pour évoquer les mosaïques qui représentent des restes de repas sur le sol des villas romaines. Au 17e siècle, la nature morte est rétrogradée à la dernière position de la hiérarchie des genres : la culture classique, considérant la peinture d’histoire et la peinture religieuse comme genres suprêmes, prête peu d’attention à la figuration des objets considérée comme anecdotique.

L'expression nature morte est, pour sa part, relativement récente. Le terme apparaît dans la langue française à la fin du 17e siècle. Vers 1650, la Flandre avait, de son côté, adopté le mot « stilleven » pour des « pièces de fruits, fleurs et de poissons » ou « pièces de repas servis ». L’Angleterre l’adapte en « still-life » qui peut se traduire par « vie silencieuse » ou « vie immobile ».

Une double lecture, visuelle et symbolique

La représentation de tables recouvertes d’objets, de fleurs et de denrées offre aux artistes l’opportunité de faire l’étalage de leur virtuosité technique dans le rendu des surfaces et des textures. Toutefois, avant le XVIIIe siècle, les choses matérielles et organiques sont rarement dépeintes dans l’intention de produire une simple satisfaction visuelle. Comme tout autre genre, la nature morte est emprunte d’une dimension intellectuelle, voire morale ou religieuse.

À la charnière du trompe l’œil et de la nature morte, le Cartouche avec Pietà et guirlande de fleurs peint par Daniel Seghers (1590-1661) et Erasme II Quellin (1607-1678) illustre cette complexité sémantique. Le tableau représente une Piéta en bas-relief entourée de guirlandes de fleurs qui renvoient, par métaphore, à la tragédie religieuse : les roses et les fleurs d’oranger (symboles mariaux) sont tressées sur des chardons qui rappellent la couronne d’épines du Christ martyr. Grâce au langage codifié des fleurs, Quellin et Seghers associent les deux registres de l’œuvre, en une composition au message cohérent.

L’ici et l’ailleurs

Le Grand Buffet de Michel Bouillon (actif entre 1638 et 1660) acquis par le musée de Tourcoing, témoigne des multiples degrés de lectures auxquels peut prétendre la nature morte à l’époque baroque. La composition étirée dans sa longueur présente une table recouverte de fruits et de fleurs. La nature que recompose l’artiste est purement fictive puisqu’il associe des fruits et des fleurs poussant à des saisons différentes et qu’il était impossible de trouver réunis au même moment de l’année au 17e siècle. Par le biais de la peinture, Mignon invente ainsi une temporalité idéale, en dépassant la contingence des cycles de la nature.

Concentré de temps, la nature morte est aussi un concentré d’espace : l’ode à la générosité de la nature qu’elle met en scène se double régulièrement d’une célébration de la diversité du monde, jusque dans ses ramifications les plus exotiques. Les grandes expéditions qui marquent l’Europe depuis le XVe siècle ont, en effet, favorisé le contact avec des parties inconnues du globe. Les coquillages, les porcelaines Ming, les pots de tabac et autres objets en ivoire que l’on peut voir dans certaines natures mortes sont des éléments rares et précieux qui évoquent l’ailleurs et les grandes conquêtes. La coupe nautile qui surplombe le Grand Buffet en est un exemple éloquent.

Ce symbolisme se retrouve de manière un peu plus diffuse au 18e siècle chez Dominique Doncre (1743-1820). Son Bouquet dans une niche rappelle l’approche analytique des primitifs flamands auxquels Doncre emprunte le reflet de la fenêtre dans le vase. Le hanneton qui chemine au bas de la composition symbolise l’instabilité ou la fuite du temps.

Basculement

Jean-Siméon Chardin (1669-1779) opère un basculement dans l’histoire de la représentation des objets inanimés en dépouillant leurs représentations de toute intention symbolique. Avec une simplicité désarmante, Chardin met un terme à la dualité qui écartelait la nature morte entre le plaisir de la mimesis et la mise en œuvre d’un programme sémantique complexe. Les restes d’un modeste repas posés sur une table ou de la vaisselle sale deviennent pour lui des sujets dignes d’intérêt. Œuvre de jeunesse, Le gobelet d’argent de Lille restitue avec soin l’aspect de chaque matière (métal, pain, verre) tout en unifiant les différents éléments entre eux grâce à une lumière caressante. Chardin révèle l’émouvante beauté de la « vie silencieuse », en transcendant le caractère prosaïque d’objets les plus communs. Au début du 20e siècle, alors que la peinture s’émancipe des anciens schémas symboliques, l’écrivain Marcel Proust (1871-1922) résume ainsi la révolution du regard opérée par Chardin : « Si tout cela vous semble maintenant beau à voir, c'est que Chardin l'a trouvé beau à peindre. Et il l'a trouvé beau à peindre parce qu'il le trouvait beau à voir. »

Expérimentations formelles

Les avant-gardes du début du 20e siècle s’approprient la nature morte comme un genre leur permettant de cheminer vers une autonomie plus grande des formes et des couleurs. Auguste Herbin (1882-1960) a adhéré aux principaux mouvements novateurs comme le fauvisme ou le cubisme, avant d’être l’un des grands représentants de la peinture abstraite. Le Bouquet de chrysanthèmes qu’il peint, durant sa jeunesse, rappelle Vincent Van Gogh (1853-1890) par ses touches grasses et ses teintes vives. L’œuvre fut exposée au Salon des Indépendants en 1907, non loin des tableaux de son compatriote Henri Matisse (1869-1954).

Les deux panneaux Coquelicots et Iris peints par ce dernier vers 1912 s’étirent en hauteur. Ce format inhabituel renforce le mouvement ascensionnel lié à la croissance des plantes. Toute sa vie, Matisse chercha à tisser des correspondances entre l’énergie végétale et l’énergie humaine, comparant régulièrement ses modèles à des plantes ou s’identifiant lui-même aux arbres qu’il représentait.

Archaïsmes

Après l’euphorie fauve, André Derain (1880-1954), camarade de jeunesse de Matisse, atténue sa palette en se concentrant sur le positionnement des objets dans l’espace. Marqué par le cubisme, il organise sa Nature morte : pichet, verre, pots et poire selon une légère plongée en cherchant à faire coïncider le plan de la table avec celui du tableau. Néanmoins, les objets sont traités en volumes simples qui témoignent de l’attachement de Derain à l’intégrité de la forme contrairement à Georges Braque (1882-1963) et Pablo Picasso (1891-1973) dont il s’inspire. Par cet archaïsme volontaire, Derain souhaite renouer avec le système de représentation des pionniers de la Renaissance italienne.

Les artistes du 20e siècle, soucieux de renouer avec une certaine forme de spontanéité, ont jeté un regard bienveillant sur les artistes autodidactes. Dans le sillage du Douanier Rousseau (1844-1910), Séraphine Louis (1864-1942), dite Séraphine de Senlis, s’évade de son quotidien en peignant des brassées de fleurs. Modeste femme de ménage, elle s’adonne à la peinture le soir dans sa chambre. Sensible au travail de cette créatrice hors-norme (qui était également son employée de maison), le marchand et critique d’art Wilhelm Uhde (1874-1947) contribue à révéler son talent avec une ferveur similaire à celle qu’il avait déployée au début du 20e siècle pour faire reconnaître celui de Picasso.

Fin de repas

À la représentation de l’objet, l’art du 20e siècle substitue la présentation de l’objet lui-même. L’artiste belge Marcel Broodthaers (1924-1976) est l’héritier d’une tradition née dans les années 1910 autour de Georges Braque, Pablo Picasso, Marcel Duchamp (1887-1968) et du mouvement Dada qui intégrèrent, à des degrés divers, des objets à leurs créations.

Comme son nom l’indique, Surface de moules présente une accumulation de coquilles de moule vides collées sur un plan. Dans un mouvement de bascule à la verticale, Broodthaers a transformé la table en tableau. Par une mention au verso de l’œuvre, il évoque le souvenir d’un repas entre amis dans la ville belge de La Panne. Corrosive, l’œuvre renoue toutefois avec une forme inventée durant l’Antiquité : l’asaroton, représentation en mosaïques de sols jonchés de détritus après un repas... Des sols de Pompéi à la Belgique contemporaine en passant par Chardin, l’une des grandes vertus de la nature morte fut de sublimer les restes et de contribuer à révéler la beauté des éléments prosaïques qui peuplent notre quotidien. 

 

Alexandre Holin pour l'ACMNPDC

Cartouche avec Pietà et guirlandes de fleurs
Cartouche avec Pietà et guirlandes de fleurs | Cartouche avec Pietà et guirlandes de fleurs
Grand buffet
Grand buffet | Grand buffet
CHARDIN Jean-Baptiste, Les Apprêts d'un déjeuner (18e siècle) - Lille, Palais des beaux-arts
Les apprêts d'un déjeuner, dit aussi Le Gobelet d'argent ; Le gobelet d'argent | Les apprêts d'un déjeuner, dit aussi Le Gobelet d'argent ; Le gobelet d'argent
Bouquet dans une niche
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Chrysanthèmes
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