On tue le cochon !
Adriaen Jansz Van Ostade, On tue le cochon, dit aussi Le charcutier, 1652, eau-forte, D. 115 (feuille) ; D. 113 (trait carré), Gravelines, Musée du dessin et de l'estampe originale
Cette petite estampe d’Adriaen Van Ostade (1610-1685) décrit sobrement la mise à mort du cochon, pratique courante dans les villages des Anciens Pays-Bas au XVIIe siècle. Autour de la carcasse de l’animal, deux adultes et quatre enfants regardent calmement un couple qui en récupère les entrailles. Van Ostade dépeint la scène comme un moment familier en la déchargeant de tout pathos.
La mise à mort du cochon était autrefois un moment important. Dans les calendriers et dans les almanachs, sa représentation servait à illustrer le mois de novembre. Ce motif était très prisé car le cochon, animal nourricier par excellence, était associé au « manger gras » des temps de fête, particulièrement avant et après la période de privation du Carême. Une estampe du musée de Flandre à Cassel intitulée La cuisine grasse (réalisée d’après une œuvre de Pieter Bruegel (1525-1569) représente des ripailles dans une pièce saturée de jambons, de saucissons et autres cochonnailles en tout genre.
Dans l’estampe de Van Ostade, l’heure n’est pourtant pas à la fête mais plutôt au recueillement devant la mort. Les enfants sages et les adultes concentrés ont le regard tourné vers la carcasse du cochon sobrement éclairée par une bougie. L’atmosphère confine au religieux. Dans la sagesse populaire, l’action de tuer un animal pour le manger servait d’injonction pour évoquer le Jugement Dernier. Le Groote Comptoir Almanach, ouvrage publié 1667, accompagne une vignette qui représente une famille cuisinant de la charcuterie, par ces vers :
« Fais abattre Veau, Vache et Cochon,
Pense qu’à la fin du monde,
Tu paraîtras devant Dieu pour être jugé »1
Cette forme d’humilité devant la mort se retrouve dans Le dépècement du porc peint par Isaak Van Ostade (1621-1649), frère d’Adriaen. L’artiste y représente un petit garçon qui gonfle une vessie à côté de l’animal entrouvert. Ce motif décline le symbole de l’homo bulla (« l’homme n’est qu’une bulle »), allégorie classique de la brièveté de la vie. « Qu’est-ce monde que l’on aperçoit ? Une vessie pleine de vent et rien d’autre » dit encore une maxime de l’époque.
Moins idéaliste que la peinture italienne, l’art des Anciens Pays-Bas se montre sensible à l’interprétation de proverbes populaires et de maximes moralisantes, autrefois colportés par la tradition orale ou les almanachs illustrés.
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Références bibliographiques
Invention, interprétation, reproduction. Gravures des Anciens Pays-Bas (1550-1700), (cat. exp.), Douai, musée de la Chartreuse, 2006 (l’œuvre est reproduite p. 29).
E. de Jongh, « Réalisme et réalisme apparent dans la peinture hollandaise du XVIIe siècle », Rembrandt et son temps, (cat. exp.), Bruxelles, palais des beaux-arts, 1971, p. 49-54.
Ingvar Bergstrom, « Homo Bulla, La boule transparente dans la peinture hollandaise à la fin du XVIe siècle et au XVIIe siècle », Les Vanités dans la Peinture au XVIIe siècle. Méditation sur la richesse, le dénuement et la rédemption, (cat. exp.), Caen, musée des beaux-arts, 1990, pp. 49-54.
Alexandre Holin pour l'ACMHDF
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