Représenter le corps : des images qui nous survivent ?

 
Ce qu'il reste de
Ce qu'il reste de

Si elle nous semble aller de soi, la représentation de notre corps est pourtant un sujet d’une extraordinaire modernité. En effet, comment avoir une représentation instantanée de nous-même, avant que naisse la photographie ?

Si quelques peintures nous sont parvenues, elles étaient fort subjectives et ne présentaient qu’une part infime de la population.

A l’heure où nous avons tous dans notre poche le moyen de nous représenter, seul ou à plusieurs, et par là même de nous présenter aux autres, nous ne pouvons que nous interroger sur notre rapport à l’image et à notre propre mise en scène.

Mais nous nous interrogeons moins souvent sur des images plus intimes, plus douloureuses même parfois : celles de l’intérieur même de notre corps.

Si l’imagerie médicale nous a permis de voir en nous-mêmes, elle comporte pourtant son lot d’interrogations : que disent ces images de nos maux ? Comment traduisent-elles les peurs, les doutes, les angoisses qui accompagnent les moments où elles sont créées ? Que faire d’elles après notre mort ?

Dans cette troisième partie, Fabrice Rotenhauser nous propose de nous interroger sur la représentation de notre corps au travers des siècles : de l’humain momifié donné à voir dans les musées, aux planches d’anatomies de Vésale ou aux radiographies érigées en œuvres d’art : que disent ces représentations de nous-même ?

L’artiste nous invite également à questionner notre rapport au corps de l’autre et à ses souffrances :  que reste-t-il de l’image des nôtres, de leurs maux, de leurs souffrances, après leur mort ?

Si en 1543 les travaux de Nicolas Copernic viennent révolutionner la vision de l’infiniment grand, c’est également cette année-là que le médecin brabançon André Vésale transforme la vision de l’infiniment petit en publiant De humani corporis fabrica libri septem (À propos de la fabrique du corps humain en sept livres).

Vésale publie dans son ouvrage des planches d’anatomie étonnantes : il donne à voir des corps en mouvement, dans des postures artistiques et s’inscrivant dans des paysages italiens. Etonnamment, on ne peut s’empêcher de les regarder avec fascination et les trouver belles. Vésale est allé au-delà du réalisme et, par là-même, il nous touche aujourd’hui encore car ses planches semblent avoir changé de statut : d’instrument du savoir, elles sont devenues œuvres d’art. 

Dans cette œuvre, Fabrice Rotenhauser nous invite à percevoir la véritable révolution apportée par Vésale :  à gauche une incision, sous la forme d’une pièce en cuivre émaillé, pour nous indiquer le seul moyen existant avant lui pour explorer l’anatomie ; en contrepoint, neuf planches anatomiques directement inspirées de l’ouvrage d’André Vésale sont présentées dans un livre ouvert, comme un corps disséqué que nous voyons de l’intérieur. Vésale a ainsi permis la transmission du savoir. Ce faisant, il a inconsciemment permis aux hommes et aux femmes qu’il a disséqués et représentés d’accéder à la postérité et devenir œuvres.

L’invention puis la généralisation de la radiographie ont révolutionné la manière d’envisager la médecine. Voir à l’intérieur de nous, a non seulement changé notre regard sur notre corps mais nous a aussi appris à penser autrement en cherchant à comprendre avant d’agir.

Pour Fabrice Rotenhauser, ces radiographies sont autant d’histoires individuelles : elles racontent des moments d’attentes, de doutes, des angoisses et des soulagements aussi. Elles sont des vies, elles sont nos vies.

Pourtant nous devons nous en séparer lorsqu’un proche nous quitte. Par nécessité et souvent à contre-cœur, nous abandonnons ainsi des tranches de vies, mettant au recyclage des moments d’intimité.

A travers cette œuvre, l’artiste a voulu rendre hommage à quelques inconnus représentés sur des radiographies abandonnées. Il a souhaité une œuvre souvenir, témoin des doutes et des souffrances universelles, mais qui aussi, à sa manière, noue de nouveaux liens, rapproche, rassure.

Musée de Saint-Dizier