Pulsion ornementale

L’insistance sur un art de l’imitation qui caractérise la majeure partie de la production artistique occidentale ne doit pas faire oublier une autre force de l’invention qui s’appuie sur la répétition de motifs abstraits. Cette « pulsion rythmique » est universelle. Elle s’applique à toutes les époques et marquent les différents secteurs de la création.

Tissage

L’emploi du fil favorise la création de séquences rythmiques. Le Château-musée de Boulogne-sur-Mer possède un plastron exceptionnel créé en Egypte autour du 7^e siècle av. JC. Des perles en faïence et en pâte de verre y sont assemblées en frises qui se superposent. Au niveau du col, un enchaînement de boules de tailles et de couleurs différentes crée un rythme simple que l’on retrouve décliné sous d’autres formes dans le reste du plastron. Le contraste entre le support rouge et les perles vertes renforce la dimension décorative de l’objet. Ce plastron possède une charge magique grâce à la présence de petites perles qui reprennent l’œil Oudjat, symbole de protection.

Comme l’art de la parure, l’art du tissage permet de développer des séquences décoratives. Le modeste napperon  acheté par la cité Internationale de la Dentelle et de la Mode de Calais, repose sur le tissage de quelques fils qui s’entrecroisent pour former une rosace. Ce motif se retrouve dans des civilisations très différentes et transcende les époques, légitimant l’hypothèse de l’existence d’un fonds décoratif universel basé sur la répétition géométrique. On retrouve ce type d’organisation  tout à la fois dans les mandalas du Tibet, les vitraux gothiques et les pavements circulaires des palais vénitiens.

Art brut

Le motif textile est un motif répétitif qui a très certainement marqué Augustin Lesage (1876-1954), mineur originaire du Pas-de-Calais que rien ne prédestinait à la création artistique. La voix d’un esprit entendu dans les entrailles de la terre l’oriente vers la création artistique, de façon inattendue. Les tableaux qu’il se met à peindre à partir de 1912 reposent sur la reprise de petits modules géométrique qui se superposent selon des bandes qui rappellent lointainement les frises faites par les écoliers dans leurs cahiers et les tissus produits par les manufactures textiles du nord de la France. Les tableaux de Lesage reposent sur une forme d’automatisme psychique auquel le peintre s’adonne dans un état de semi conscience proche de celui qui anime la brodeuse ou de la tricoteuse emportée par la transe de leur geste.

Décoratif

L’ornement géométrique seprête à bien des déclinaisons. Il enjolive les productions les plus éphémères comme les petits biscuits qui étaient fabriqués avec les moules en chêne sculpté aujourd’hui conservés au musée de Béthune. Notre regard contemporain qui est devenu familier de l’abstraction peut aujourd’hui appréhender l’objet comme une sculpture moderne en le désolidarisant de sa fonction utilitaire d’instrument destiné à la production en série.

Les bouleversements picturaux du 20e siècle ont modifié en profondeur le rapport des arts plastiques à l’ornement en rendant poreuses les frontières entre beaux-arts, arts décoratifs et créations industrielles et. Pour Auguste Herbin (1882-1960), le décor n’est pas une fioriture plaqué sur un objet. Avec le piano qu’il décore pour le collectionneur Alfred Lickteig (1882-1946), il déploie ses recherches picturales à l’extérieur du tableau, dans un espace nouveau, afin de créer un objet qui participe à un environnement plastique moderne.

L’artiste américain Sol LeWitt (1928-2007) prolonge la problématique de la peinture « hors du tableau » en investissant directement l’espace du musée par de grands Wall Drawings (dessins muraux). À Tourcoing, il a recouvert l’un des murs du MUba avec une composition abstraite où se répondent des arcs de cercle colorés. Leur agencement régulier crée des ondes qui font vibrer la surface qui leur sert de support.