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La "Surface de moules" de Marcel Broodthaers : sublimation des restes

Marcel Broodthaers, Surface de moules, 1967, assemblage de coquilles de moules avec rehauts de peinture et de vernis collé sur bois, H. 115 x L. 73 x P. 15 cm, Calais, musée des beaux-arts
 
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Marcel Broodthaers, Surface de moules, 1967, assemblage de coquilles de moules avec rehauts de peinture et de vernis collé sur bois, H. 115 x L. 73 x P. 15 cm, Calais, musée des beaux-arts

Entre le tableau et le bas-relief, cette œuvre de l’artiste belge Marcel Broodthaers (1924-1976), présente une accumulation de coquilles de moules collées sur un plan en bois. Non dénuées de qualité picturale, les coquilles exhibent une surface gris ardoise à l’extérieur et bleu nacré à l’intérieur que Broodthaers rehausse de vernis pour en accentuer l’éclat et sans simuler la fraîcheur marine.

Par-delà ses qualités plastiques, la dimension humoristique de l’œuvre s’impose. Avec une certaine ironie, ces coquilles de moules évoquent la tradition culinaire belge et, par association, les frites et la bière qui les accompagnent lors des fêtes populaires. Une mention au dos de l’œuvre évoque La Panne, station balnéaire au bord de la Mer du Nord où ce plat convivial est servi dans les restaurants.

Cette Surface de moules témoigne du talent poétique de Broodthaers qui abandonna l’écriture dans les années 1960 pour se consacrer aux arts plastiques. Inspirée des jeux de mots de l’artiste belge René Magritte (1898-1967), l’œuvre repose sur la double signification du mot « moule », selon qu’il soit féminin ou masculin. « Le moule de la moule est la moule » écrit Broodthaers, ou : « Cette roublarde a évité le moule de la société / Elle s’est coulée dans le sien propre / D’autres, ressemblantes, partagent avec elle l’anti-mer / Elle est parfaite. »1

À la fois mollusque et coquille, contenu et contenant, la moule est un organisme autosuffisant, symbole d’une certaine perfection. En exposant les coquilles vides, l’œuvre présente toutefois une moule incomplète : le moule sans la moule !

Intégrée dans une histoire générale de la nature morte, l’accumulation de Broodthaers évoque un sujet antique que Pline l’Ancien (23-79 ap.JC) appelle rhyparographie2  et que l’on pourrait traduire aujourd’hui  par « représentation d’objets vils ». Le terme servait autrefois à décrire certaines mosaïques qui simulaient sur le sol des riches demeures les restes de repas où s’éparpillaient arêtes de poisson, pinces de crustacés, coquillages vides, etc. Malgré une appellation péjorative, ce genre jouissait d’une grande popularité auprès de la bonne société romaine.

La Surface de moules de Broodthaers peut s’interpréter comme une lointaine survivance de la rhyparographie antique. Bien qu’elle s’inscrive avec humour dans une tradition iconoclaste propre au XXe siècle, elle témoigne aussi d’une constance de l’art à sublimer les déchets et à transcender leur vile condition.

1 Marcel Broodthaers, Pense-Bête, 1963, cité dans Marcel Broodthaers, (cat. exp.), Paris, Jeu de Paume, Réunion des musées nationaux, 1991, p. 73.

2 Charles Sterling, La nature morte. De l’antiquité au XXe siècle, Paris, Macula 1985, p. 11.

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Références bibliographiques

Marcel Broodthaers, (cat. exp.), Paris, Jeu de Paume, Réunion des musées nationaux, 1991

Barbara Forest (sous la direction de), Calais, d’ici et d’ailleurs. Son territoire et ses artistes, Milan, Silvana Editoriale, 2011 (l’œuvre est reproduite et commentée p. 93)

Guy Blazy (sous la direction de), 1982 – 1992, Fram, 10 ans d’acquisition pour les musées de la région Nord-Pas de Calais, Association des conservateurs des musées du Nord-Pas de Calais, 1994 (l’œuvre est reproduite et commentée p. 69)

 

Alexandre Holin pour l'ACMHDF

Marcel Broodthaers, Surface de moules, 1967, assemblage de coquilles de moules avec rehauts de peinture et de vernis collé sur bois, H. 115 x L. 73 x P. 15 cm, Calais, musée des beaux-arts
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