Un "repas monochrome" hollandais d'Abraham van Beyeren


Abraham van Beyeren, Nature morte au citron pelé et au verre, dit autrefois Reliefs d'un déjeuner, Vers 1650-1660, Huile sur toile, 67 x 58 cm, Lille, Palais des Beaux-Arts
Exemple de sobriété, la Nature morte au citron pelé et au verre d’Abraham van Beyeren (vers 1620-1690) perpétue la tradition des festins monochromes1. Ce genre, inventé à Haarlem dans les années 1620 par Pieter Claesz (vers 1597-1661) et William Claesz Heda (vers 1594-1680), repose sur un emploi limité de la couleur propice à la méditation spirituelle.
Renonçant à la disposition par juxtaposition des premières natures mortes du début du siècle, l’artiste choisit de concentrer les objets au milieu de la table, dans une profondeur limitée. À cette composition ramassée répond une palette restreinte qui repose sur des nuances de gris et de bruns colorés. La lumière qui provient de la gauche, donne sa cohésion à l’ensemble en glissant sur les surfaces des objets et en aménageant des ombres qui en accentuent la matérialité.
Bien que très répandue dans les autres pays, la nature morte trouve l’une de ses principales terres d’élection dans la Hollande du XVIIe siècle, pays où la culture protestante condamne la représentation des figures bibliques. Dans un contexte marqué par la rigueur calviniste, la représentation des tables servies et des objets inanimés se trouve investie d’une dimension morale et devient support à une méditation individuelle sur la fuite du temps.
La Nature morte au citron pelé et au verre met en scène cette conception de façon exemplaire2. La montre-gousset posée au premier plan sur la table est une allusion à la précarité de la vie, tout comme les circonvolutions du citron pelé qui évoquent la briéveté de l’existence et l’abandon de l’enveloppe corporelle, une fois la mort venue. Cette fugacité des choses et des êtres est également évoquée par les grains de raisins gâtés, la matière fragile des verres à pied et le plat en équilibre sur le rebord de la table.
Les verres emplis de vin ainsi que les raisins sont également des allusions à la Passion du Christ et au sang versé lors de son martyre. Associé au vin, le pain évoque l’Eucharistie. Le crabe, motif plus ambigu, se réfère à la Résurrection en raison de ses mues. Sa démarche instable suggère l’inconstance. Représenté retourné, il symbolise ici le mal vaincu.
1 Charles Sterling, La nature morte. De l’antiquité au XXe siècle, Paris, Macula 1985, pp. 48-49.
2 L’œuvre est très bien analysée sur le site du palais des beaux-arts de Lille : http://www.pba-lille.fr/Collections/Chefs-d-OEuvre/Peintures-XVI-sup-e-sup-XXI-sup-e-sup-siecles/Nature-morte-au-citron-pele-et-au-verre/
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Références bibliographiques
Charles Sterling, La nature morte. De l’antiquité au XXe siècle, Paris, Macula 1985
Alexandre Holin pour l'ACMHDF


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