Une table servie dite "archaïque"
BEERT Osias II, Nature morte à l’artichaut, Flandre, 1er quart du 17e siècle, Musée de l'Hôtel Sandelin de Saint-Omer
Cette nature morte d’Ossias Beert (vers 1580-1623) est l’une des premières représentations de table servie, genre qui apparaît autour de 1600. Jusqu’alors peu d’artistes s’étaient aventurés dans la représentation d’objets détachés de scènes religieuses ou narratives. Nommé maître à Anvers en 1602, Osias Beert s’impose comme l'un des premiers spécialistes de ce nouveau genre avec des compositions sobres et statiques où chaque élément est décrit avec soin.
Nature morte à l’artichaut regroupe sur une table en vue plongeante un morceau de pain, une salière en argent, un verre de Venise contenant du vin, un artichaut coupé en deux sur un plat et des porcelaines chinoises emplies de fruits rouges. Chaque objet donne l’impression d’occuper une place définie sur un échiquier, ni trop éloigné, ni trop proche des autres pour conserver sa lisibilité. Seule l’oblique de la pointe du couteau vient dynamiser la composition en lui donnant un peu de profondeur.
Observateur méticuleux, Osias Beert semble dresser un inventaire méthodique des objets qui se trouvent devant lui. Toutefois, Charles Sterling, grand spécialiste de la nature morte, met en garde contre une lecture purement plastique des premières tables servies. « Il n’est pas vrai que ces tableaux aient été des réunions capricieuses d’objets, choisis pour le seul plaisir de l’œil »1. Dans un contexte marqué par le poids de la religion, la nature morte se double régulièrement d’un sens intellectuel, voire moral, plus profond.
Dans le tableau d’Osias Beert, la présence de pain et de vin renvoie à l’Eucharistie et invite à respecter les préceptes moraux énoncés dans les Évangiles. Les fruits représentés à différents stades de maturation (fraises vertes et cerises pourrissant) évoquent les âges de la vie, tout comme le papillon qui symbolise l’âme détachée de sa dépouille corporelle. Ces différents éléments à sens multiples concourent à faire du tableau un Memento Mori invitant à méditer sur la fugacité de l’existence.
Dans le premier quart du XVIIe siècle, ce type de représentation séduit les collectionneurs, non seulement dans les Anciens Pays-Bas, mais aussi dans différents pays d’Europe, confirmant un intérêt croissant pour la vie muette des choses inanimées.
1 Charles Sterling, La nature morte. De l’antiquité au XXe siècle, Paris, Macula 1985, p. 48.
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Références bibliographiques :
- Yves Bourrel, Chefs-d’œuvre du musée de l’hôtel Sandelin, Édition du musée, 2004 (l’œuvre est commentée p. 48).
- Charles Sterling, La nature morte. De l’antiquité au XXe siècle, Paris, Macula 1985.
Alexandre Holin pour l'ACMHDF
Aller plus loin :
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