Réceptacle de la parole de Dieu pour les chrétiens, la Bible est au cœur de la civilisation médiévale. Sa version latine, la Vulgate, est enrichie de commentaires (prologues et gloses). De l'époque carolingienne au 12e siècle, sa diffusion se fait principalement par le biais de copies réalisées dans les ateliers monastiques (les scriptoria). Ces Bibles de grands formats en plusieurs volumes, enrichies principalement d’un décor d’initiales ornées, sont parfaitement adaptées aux lectures journalières des moines dans l’église comme au réfectoire, conformément à la règle bénédictine. D’une lecture parcellée et extrêmement longue, la glose de toute la Bible pouvait remplir dix grands volumes.

 

Vers 1230 naissent à Paris, dans les ateliers laïcs, des Bibles copiées sur un parchemin très fin, de petit format et en un seul volume, répondant aux besoins des universitaires et des frères prêcheurs en quête d’un livre maniable. La glose est également résumée, comme dans les Postilles d'Hugues de Saint-Cher, pour s'adapter à ce nouveau format. Ces Bibles parisiennes, dites de poche, se caractérisent par la numérotation des chapitres et leur distribution sur deux colonnes. Une nouvelle méthode de copie, la pecia, permet une production massive. Répandues et imitées dans toute l’Europe (Bible de Conradin, Italie méridionale, 1260-1270, muée du château de Blois et bible provenant du lac de Constance, 1280-1300, musée Charles VII, Mehun-sur-Yèvre) jusqu’à la fin du Moyen Âge, ces Bibles du 13e siècle demeurent le modèle des Bibles contemporaines. La Bible latine ne se renouvelle qu’au 15e siècle avec les Bibles dites de lutrin dont l’un des plus beaux exemples est la grande Bible imprimée par Gutenberg à Mayence entre 1452 et 1454.

Moïse recevant l'une des tables de la Loi, Bible, 1280-1300, Musée Charles VII, Mehun-sur-Yèvre

Dans l'initiale historiée du début du livre de l'Exode, Dieu apparaissant sous les traits du fils, comme le montre le nimbe cruciforme, tient un rouleau dans la main droite et touche de la gauche une des Tables de la Loi portée par Moïse. Sur la table tenue par Moïse sont écrits les mots : "Dilige(s) du [sic] dominum deum tuum" ("Tu aimeras le Seigneur ton Dieu"). Cette inscription est une reformulation extraite du premier commandement proclamé dans le livre du Deutéronome (chapitre 6, versets 4-5), prononcé par Moïse lors du discours qui suit son rappel du Décalogue dans le chapitre 5. Dans le Nouveau Testament, ces paroles sont répétées par Jésus en réponse à un scribe qui lui demande quel est le premier de tous les commandements (Marc 12, 28-30); Jésus dit :"Voici le premier : Ecoute Israël, le Seigneur, notre Dieu, le Seigneur est un, et tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton coeur, de toute ton âme, de toute ta pensée et de toute ta force". L'artiste associe ainsi les deux Testaments et leur Dieu unique non seulement par l'inscription sur la Table, mais également par une mise en scène qui fait illustrer l'Ancien Testament par le Nouveau.

 Actuellement, aucun autre feuillet de cette Bible n'est connu. Le style accuse une création précoce et sans équivalent de la région limitrophe du lac de Constance, surtout le large front de Moïse et ses petits yeux aux paupières un peu basses. L'artiste emprunte les dragons et les pastilles dorées à l'enluminure parisienne du second tiers du XIIIe siècle, mais les fonds réticulés, l'un losangé bleu avec un motif de quartefeuille, l'autre beige quadrillé de deux réseaux superposés aux intersections couvertes d'un quartefeuille, sont germaniques et désignent les dernières décennies du siècle.

Patricia Stirnemann

Institut de recherche et d'histoire des textes (IRHT), CNRS, Paris

Deux personnages masculin, Bible de Conradin, 1260-1270, Musée du château royal de Blois

  Deux fragments entrés au musée des Beaux-Arts de Blois avec le legs Frank en 1973 représentent deux figures masculines caractérisées par une certaine expressivité gestuelle. Elles se détachent sur un fonds bleu dont le bord est dentelé de façon particulière et dont les riches ornements de broquettes ou de petits clous dorés et de fins motifs blancs. Le premier personnage (inv. 73.7.50), tourné vers la droite, tend les mains vers l'avant, tandis que le second (inv. 73.7.51), tourné dans la direction opposée, pointe l'index vers sa bouche.

   Le style des illustrations combine des éléments caractéristiques de la tradition byzantine (forme des visages) et des références gothiques plus modernes (choix chromatiques, décorations et forme des manteaux). Ces éléments de nature stylistique et matérielle nous amènent à penser que les enluminures ont été détachées de la Bible de Conradin (conservée au Walters art Museum de Baltimore, ms. W. 152,). Selon une note du XIXe siècle (aujourd'hui disparue) ce célèbre manuscrit aurait été exécuté en Sicile vers 1268 pour le dernier Hohenstaufen, Conradin de Souabe.

   Cette bible de luxe est malheureusement incomplète : une grande partie de ces cinq cent feuillets d'origine, comportant plusieurs initiales enluminées et des illustrations marginales, avait été détachée à la fin du XVIIIe et au XIXe siècle, à l'époque à laquelle l'oeuvre se trouvait en France. Les fragments de Blois trouvent des correspondances précisent dans l'illustration de cette bible, en particulier dans les images qui ornent certains livres de l'Ancien Testament. Le deuxième fragment pourrait provenir de la marge inférieure de la page du psaume 38, aujourd'hui perdue, mais dont on conserve une initiale. Ce texte est généralement illustré par la figure de David ou par un personnage masculin qui montre sa bouche, rappelant ainsi les premiers mots du psaume. Le sujet de l'autre miniature ne peut, pour l'instant, être identifié avec plus de précision.

  Si, le rattachement du manuscrit à une région de production précise fait encore aujourd'hui l'objet d'un débat, il est admis des affinités avec les oeuvres datant de 1260 et provenant d'Italie méridionale.

 

Roberta Bosi

Doctorante en histoire de l'art médiéval, Scuola Normale Superiore, Pise

traduit par Judith Soria, Doctorante à l'Ecole pratique des hautes études, Paris