S’il avait vécu au Moyen Âge, Habert-Dys aurait été nommé “imagier”… C'est-à-dire un artiste complet, absolu, proposant de nouvelles lignes artistiques, dessinant cartons et miniatures, modelant, sculptant, faisant vivre sous son pinceau et avec des couleurs renouvelées toutes surfaces ou volumes sortis de ses talents. Il aurait travaillé le parchemin, le tissu, l’orfèvrerie, la terre, le verre ; certainement enseigné aussi, dispensé son art auprès de ses élèves...

Tout cela, il l’a fait, mais au xix^e siècle ! Ce siècle du charbon, de la vapeur, du fer et du feu ; ce siècle des constructions glorieuses et des Expositions universelles.  Pour Habert-Dys, le charbon sera crayon, le feu sera porcelaine, ses constructions aériennes comme ses oiseaux éployés ou ses roseaux sous le vent, les grandes Expositions seront ses galeries artistiques.

Une vie de recherches :

Toute sa vie Jules-Auguste Habert-Dys va expérimenter les matériaux, les supports, les techniques et les mille façons de transformer ses dessins en des objets savoureux, exceptionnels. À la fois avant-gardiste et dans l’air du temps, il saura, comme nul autre, fondre une nature finement observée dans ses tracés magnifiés. Les branches s’étirent de rameaux en branchettes improbables, les bouquets s’envolent en fins pétales, les roseaux se plient et se cassent dans une souplesse infinie. Les limites d’un dessin deviennent des cadres à déborder, les marlis des assiettes ne sont que des prétextes à courber le vent de son crayon, les pieds de cette autre coupe forment les pattes étirées d’un insecte devenu couvercle… Rien n’est laissé au hasard et dans tous les domaines  les collaborations sont multiples, les réalisations et les commandes toujours menées avec précision, savoir et dextérité.

Reconnaissance :

Professeur à l’école des Beaux-arts de Paris jusqu’en 1927 († 1930), Habert-Dys est resté en retrait des maîtres de l’Art nouveau. Certainement, aussi, parce que les affichistes et les designers urbains (on pense alors au métro parisien de Guimard ou les architectures d’Horta), étaient plus en vue que les artistes des arts de la table et de la décoration intérieure. Par son crayon et ses lignes uniques, considérons aujourd’hui notre artiste comme un maillon essentiel dans la recherche, le développement et à la diffusion des idées du Modern style, autrement dit de l’Art nouveau.

Mehun-sur-Yèvre :

C’est auprès des ateliers de la “Spéciale” de la manufacture de porcelaine Charles Pillivuyt & C^ie, qu’il sera associé, autour d’Alphonse Lamarre, d’Eugène Halot et Joseph Maquaire, pour la création d’un service de table destiné aux présentations de l’Exposition universelle de 1889. Il nous faut aujourd’hui reconsidérer ses ateliers comme un véritable creuset artistique, une sorte de “Petit-Sèvres-en-Berry”. Louchet, le bronzier-ciseleur d’art y envoyait ses modèles, Monganaste ses planches et ses cartons, Chalon et Goujon magnifiaient les corps, Martin ou Delagrange les bustes et, pour compléter, les barbotines et pâtes d’application des Lamarre rivalisaient en finesse avec les scènes romantiques de Lacoste… On mélange aux arts les techniques ; ainsi, les émaux de Longwy se croisent avec les faïences Vieillard de Bordeaux, les émaux ombrés de Rubelles se déclinent en chinoiseries sur porcelaine, les ingénieurs s’écrivent, les artistes peignent, la veille industrielle mélange les styles et les personnages ; pendant ce temps, les industriels deviennent maires, les financiers jouent aux artistes et les ingénieurs parisiens se marient aux belles mehunoises !

Ce bouillonnement va faire de la petite ville de Mehun un centre d’émulations artistiques, où les porcelaines complèteront les marbres Soupize, les ferronneries Robert, les plâtres et staffs Larchevêque. Pour honorer Jeanne d’Arc, une statue est commandée à Manuela, la duchesse d’Uzès, pour le buste de Camile Méraut, médecin et maire de la ville, c’est Jean Baffier qui est sollicité. Les maisons se dotent alors de balcons chiffrés, de “Bow-windows”, les bouquets de chardons, les fleurs épanouies et les roseaux “fous” ornent les plafonds ; parfois même les carreaux Boulenger décorent les façades et Deauville essaime ses pignons pointus et ses charpentes apparentes en Berry…

Le service de 1889 :

Pièces et dessins proposés ici montrent un service d’une grande modernité, tant dans les formes, les découpes, que dans la disposition des motifs. Les dessins, tous différents, s’adaptent parfaitement aux formes, tout en laissant croire que leurs dispositions font fi des contraintes spatiales des surfaces… Nul ne sait aujourd’hui qui a acheté cet ensemble, mais ce fut un succès esthétique honoré d’une médaille et d’un prix. Le matériel de production a malheureusement disparu. Toutefois, le musée possède des éléments, certes épars, mais extrêmement intéressants. Quelques dessins techniques qui complètent des pièces inachevées ou prototypes et, depuis quelques temps, des dessins aquarellés des motifs à reproduire sur les porcelaines. Ainsi, cette complémentarité permet-elle de comparer des pièces de formes avec des planches de création ou des documents techniques. Gageons qu’un jour des bribes de correspondances ou des dessins complémentaires viendrons compléter nos études pour encore mieux comprendre les pinceaux d’Habert-Dys.

Pour en savoir plus :

En plus des fiches accessibles à partir du carrousel d’images, nous vous proposons un lien vers le dossier de synthèse qui avait été présenté, devant les commissions ad hoc, lors de l’achat des aquarelles ; un autre vers une approche de la “Spéciale” de la manufacture Pillivuyt (planches extraites de l'exposition 200 ans de porcelaine).

Revenez consulter nos pages et fenêtres virtuelles, les informations sont mises à jour et de nouvelles fiches sont régulièrement versées. D'autres oeuvres sont à votre disposition : tapez Dys dans la fenêtre de recherche rapide, puis cliquez sur la loupe.

Nous vous conseillons également le catalogue de synthèse d’Yvonne M.L. (dir.) et Gabriel P. Weisberg, professeur auprès de l’University of Minnesota, Minneapolis,  Toward an Art Nouveau ; the drawing and ceramic innovations of Habert-Dys, Bernard Derroitte (éd.), Armstrong Fine Art, Chicago-Plymouth, 2014 ; Philippe Bon (coll.). Le professeur Weisberg est spécialiste de l’Art nouveau et découvreur des aquarelles acquises par le musée Charles VII – Pôle de la porcelaine.

Enfin, pour les plus curieux, un bel ouvrage écrit par un “autre oublié” des arts graphiques, élève d’Eugène Grasset : Maurice Pillard-Verneuil, Étude de la Plante, son application aux industries d’art (pochoir, papier peint, céramique, marqueterie, tapis, ferronnerie, reliure, dentelles, broderies, vitrail, mosaïque, bijouterie, bonze, orfèvrerie), Librairie Centrale des Beaux-Arts, Paris, 1900 [1903].

Remerciements à Sonia Banting, Susana Pereira-Tavares et Justine Lemarchand.