Napoléon III, dans l'intimité du Palais de Saint-Cloud

En 2023, le musée des Avelines a proposé un accroche commémoratif pour les 150 ans de la mort de Napoléon III s'articulant autour de cinq thèmes : l’impératrice Eugénie, le prince impérial, le temps des réceptions, le temps des loisirs et les promenades de Napoléon III.

Fils de Louis Napoléon Bonaparte (1778-1846) et d’Hortense de Beauharnais (1783-1837), Napoléon III connaît un destin extraordinaire. D’abord élu représentant du peuple en 1848, il devient président de la Seconde République jusqu’en décembre 1852, date à laquelle il se proclame empereur des Français sous le titre de Napoléon III.

À partir de là, Saint-Cloud est pour lui un lieu de villégiature privilégié. Il s’inscrit ainsi dans une tradition initiée par son oncle Napoléon Ier lorsque celui-ci était encore Premier consul. Le palais conserve la mémoire de prestigieuses réceptions données en l’honneur du prince Albert et de la reine Victoria, mais également du roi Charles XV de Suède et bien d’autres encore. Il est une résidence d’été où Napoléon III passe de mémorables moments en famille, avec son épouse l’impératrice Eugénie et son héritier Louis-Napoléon. C’est enfin à Saint-Cloud que l’empereur prend le recul nécessaire pour penser la Nation, lors des promenades dans le parc. Cet attachement au palais survivra à la fin de l’Empire en 1871. En exil à Chislehurst à une vingtaine de kilomètres de Londres, Napoléon III ne peut que rêver aux fastes dont il fut le théâtre.

L’impératrice Eugénie

Pour assurer sa succession, Napoléon III doit se marier. En 1853, après l’échec des négociations avec plusieurs familles princières, il épouse la comtesse de Teba, Eugénie de Montijo. Issue de l’aristocratie espagnole par son père, le comte de Teba, et de l’aristocratie écossaise et belge par sa mère, Eugénie est éduquée par des précepteurs prestigieux, Stendhal et Mérimée, avec qui elle conserve un lien tout au long de sa vie. Fervente admiratrice de Marie-Antoinette, elle se voit reprocher, comme elle, une certaine frivolité, dont elle se défend en rappelant que la toilette fait partie du rôle de représentation d’une impératrice.

Sous le Second Empire se développe la photographie. Dans notre collection se trouve un délicat portrait qui orne la carte de visite de l’impératrice réalisé par Pierre Petit, auteur de nombre de ces clichés destinés à être diffusés dans le cercle privé et amical. À ce portrait intime répond notamment une photographie d’apparat, contemporaine, où elle figure en impératrice de la mode, par le luxe de sa tenue, une robe du soir sombre dont le décolleté met en valeur les boucles de sa coiffure. Son cou est orné de trois rangs de perles et sa coiffure est surmontée d’un diadème réalisé par Eugène Fontenay (1824-1887) en 1858. Cet ouvrage de joaillerie adopte la forme circulaire d’une couronne à neuf branches ornées de pierres précieuses pouvant être démontées et remplacées à l’envi.

Le prince impérial

Napoléon Eugène Louis Jean Joseph Bonaparte, communément appelé Louis-Napoléon, est le fils unique de Napoléon III et Eugénie. L’enfant revêt le titre de prince impérial et doit succéder à l’empereur en tant que Napoléon IV. Il grandit d’abord au palais des Tuileries, mais dès 1859, après un accident dans le parc de Saint-Cloud, il reste dans le palais clodoaldien en retrait de l’agitation de la ville pour favoriser sa guérison. Le prince impérial développe un attachement particulier à cette demeure où il est souvent photographié avec ses parents.

Pour l’amuser, ceux-ci lui font installer dans la clairière du parc réservé au-dessus de l’allée des goulottes, un chemin de fer miniature qui comprend une gare et un grand viaduc. Le prince en profite aux beaux jours, à l’ombre de sa tente de type militaire aux insignes impériaux sous laquelle Napoléon III s’installe parfois pour travailler à ses côtés. La présence de l’enfant est signalée par un drapeau hissé en faîte du mat central auquel le garde zouave qui le surveille installe parfois des peluches afin qu’il s’exerce, avec ses amis, au tir à la carabine.

En 1864, Napoléon III commande au sculpteur Jean-Baptiste Carpeaux (1827-1875) une statue représentant son fils. L’artiste, qui est aussi le professeur de dessin de l’enfant, réalise une sculpture en marbre blanc aujourd’hui conservée au musée d’Orsay. Le prince, alors âgé de huit ans, est représenté en costume de promenade, veste courte, culotte, cravate nouée négligemment et chaussures légèrement usées, sans attribut impérial, une main posée affectueusement sur son chien Néro. La tendresse de cette mise en scène reflète l’importance nouvelle que la société accorde à l’enfant au sein de la famille.

Le temps des réceptions

Pour la famille impériale, la vie à Saint-Cloud est ponctuée de visites diplomatiques. Il s’agit, pour Napoléon III d’accueillir les souverains et les ambassadeurs étrangers de manière moins protocolaire qu’aux Tuileries. C’est le cas de la reine Victoria et du prince consort Albert de Saxe-Cobourg-Gotha à l’occasion de l’inauguration de la première Exposition universelle à Paris en 1855.

Arrivés en yacht à Boulogne, les souverains britanniques entrent au palais de Saint-Cloud le samedi 18 août. Des gravures sont alors éditées et reproduites dans les journaux français et anglais pour les suivre pas à pas. Parmi celles-ci, Her Majesty’s Salon, in the palace of Saint-Cloud figure Eugénie et Victoria visitant le Grand Salon des appartements mis à sa disposition. On y découvre le lustre central en cristal de roche datant de l’époque Louis XVI et, au-dessus d’un grand canapé, le chef-d’œuvre achevé en 1670 par Murillo, la Sainte Famille ou Vierge de Séville, convoité à l’époque par le nouveau musée du Louvre.

En octobre 1856, la visite de l’ambassade birmane intervient dans un contexte de montée des intérêts coloniaux en Extrême-Orient, où l’Angleterre grignote peu à peu la Birmanie, tandis que la France se pose la question d’une intervention en Cochinchine. Face à la menace britannique, dont les souverains avaient été reçus à Saint-Cloud moins d’un an plus tôt, le royaume birman cherche des nations amies puissantes et envoie son ambassade en France, sous couvert d’un traité de commerce. L’exotisme de la scène est rapporté fidèlement par une gravure qui détaille particulièrement les ombrelles, les tenues et les attitudes des hôtes, sous le regard amusé de la Cour.

À côté de ces réceptions s’en déroulent d’autres, plus intimes, comme celle donnée en 1861 en l’honneur de Charles XV (1826-1872), roi de Suède et de Norvège, accompagné de son frère, le futur Oscar II (1829-1907). Napoléon III le reçoit de façon plus personnelle devant la grille du parc où la présence des nombreux membres de la Cour n’empêche pas une certaine proximité.  

Le temps des loisirs

L’apparat des réceptions ne doit pas faire oublier que Saint-Cloud est un lieu de villégiature pour l’empereur et sa famille qui profitent d’instants calmes, relativement à l’écart du pouvoir. Ils en conçoivent bien des loisirs.

Amatrice de nouveautés techniques, la famille impériale aime à découvrir les curiosités que l’on vient leur présenter au palais. Napoléon III auditionne notamment Jean-Baptiste Schalkenbach (1824-1910) dans le salon de Mars, jouant lui-même de son invention, le piano-orchestre électro-moteur. Cet appareil permet à un seul musicien, par un habile procédé de boutons, de donner l’illusion qu’un ensemble d’instruments joue en même temps.

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« Après l'audition du premier morceau, S. M. l'impératrice se montra particulièrement incrédule à l'endroit du nombre des musiciens qu'elle venait d'entendre. Certainement, ils étaient plus nombreux qu'on ne voulait l'avouer ; dans son estimation, ils s'élevaient à vingt sinon même trente. On la pria de vérifier par elle-même ... »

Le Monde Illustré, 22 novembre 1862

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Parallèlement, Napoléon III s’adonne à l’une de ses grandes passions, celle des chevaux, en faisant installer à Saint-Cloud ses écuries principales. De nombreux portraits équins sont révélateurs de l’attention qu’il leur accorde. Sa jument préférée, Littzy, est photographiée avec deux harnachements différents. Le premier évoque celui des chevaux de la Garde impériale. Le second est un caparaçon d’apparat, avec un tapis de selle brodé d’or et une arcade d’arçon fortement décorée. On retrouve sur la selle l’emblème impérial au centre duquel se trouvent l’aigle et la couronne. Le harnachement d’apparat est proche de celui représenté dans le portrait équestre de l’empereur peint en 1858 par Alfred Dedreux (1810-1860).

Comme son père, le prince impérial reçoit comme cadeaux diplomatiques des chevaux de la part de nombreux souverains. Ainsi, la reine Victoria lui offre un nommé Balmoral. Le premier roi d’Italie, Victor Emmanuel II, lui fait, quant à lui, cadeau d’Arlequin et l’émir Abd el-Kader de Kaled. Les écuries de Saint-Cloud abritent même Bouton d’or, le poney préféré du prince.

Les promenades de Napoléon III

Le palais est agrémenté de jardins dont la famille impériale aime à profiter. Le jardin du Trocadéro, créé sous Louis XVIII, conserve des essences rares. Napoléon III poursuit son aménagement en ajoutant des allées, des pelouses et un petit lac artificiel. Une passerelle est édifiée au troisième étage du palais pour permettre au prince impérial de rejoindre directement ce jardin.

Le palais de Saint-Cloud, situé en bord de Seine, permet également à la famille impériale de se promener sur le fleuve à bord de son yacht personnel, Le Puebla, construit en 1863, et dont le nom espagnol rappelle les origines de l’impératrice.

En 1868, Napoléon III est dessiné dans le parc par Ferdinand Bac. Petit-fils illégitime de Jérôme Bonaparte (1784-1860), frère cadet de Napoléon Ier, l’artiste séjourne chaque année au palais de Saint-Cloud où il caricature le milieu mondain. Il représente l’empereur en haut-de-forme et costume de ville, le dos courbé, les yeux fermés, dans un cadrage resserré qui rend compte d’un instant de repli sur soi et de réflexion alors que l’Empire s’engage dans les conflits.

Épilogue

Le 19 juillet 1870, la guerre franco-prussienne est déclarée. Napoléon III et son fils partent en train depuis le palais de Saint-Cloud vers le front, avec l’état-major. L’impératrice fait ses adieux au prince impérial. L’empereur serre la main des ministres à qui il confie la charge d’aider la régente Eugénie, tandis qu’à l’arrière-plan, le prince Napoléon (1822-1891), son cousin, s’apprête à les accompagner. Mais ces adieux ne sont pas déchirants : la France vit encore dans l’illusion qu’elle va gagner cette guerre en peu de temps. Finalement, l’empereur est fait prisonnier le 3 septembre lors de la défaite de Sedan et détenu au château de Wilhelmshöhe en Allemagne jusqu’en mars 1871 où il rejoint sa femme et son fils exilés en Angleterre dans la maison de Camden Place à Chislehurst.

Napoléon III y meurt le 9 janvier 1873 des suites d’une opération chirurgicale. D’abord inhumé dans l’église de Chislehurst, sa veuve lui fait finalement construire un mausolée à l’abbaye Saint-Michel à Farnborough où repose, aujourd’hui encore, la dernière famille impériale.