Les leçons de choses de Glucq
La « série encyclopédique Glucq de leçons de choses illustrées » est née vers 1880 de la rencontre de deux entrepreneurs : le dessinateur industriel Gaston Lucq, dit Glucq, spécialisé dans les images de réclames basé à Paris, et l’imprimeur spinalien Charles Pellerin. Dans cette aventure commune, Glucq conçoit les planches et recherche les annonceurs. Pellerin se charge de l’impression en grande quantité, fort de son personnel nombreux et de ses machines modernes.
La série rassemble 55 planches, composées pour la plupart de 16 vignettes de taille égale, avec une mise en page dans l’ensemble homogène et sans fioritures. Le dessin académique ne laisse la place à aucune originalité : il se doit d’être clair et lisible. Il en est de même pour le texte qui accompagne chaque vignette. La visée est pédagogique, avec parfois une pointe de morale.
Cependant, les bénéfices se font attendre et Glucq déplore dès 1888 que les stocks ne s’écoulent pas. En 1896, l’entreprise Pellerin & Cie rachète les droits de la série encyclopédique et y opère quelques changements. L’imagier spinalien exclut les planches à caractère publicitaire et commande au dessinateur Henri Ferran de nouvelles images. La version revue et corrigée est déposée en préfecture entre mars 1905 et septembre 1906. Quelques images supplémentaires publiées entre 1914 et 1920 complètent la série.
Eduquer le citoyen au civisme
«Le travail de chacun de nous est utile à la société toute entière.»
Dans la continuité des principes issus de la Révolution française, l’éducation doit forger l’unité des citoyens autour de valeurs communes. La série encyclopédique Glucq s’y attelle sur un ton moralisateur. La politesse rend meilleur et hisse le citoyen à un rang plus élevé dans la société. Chaque geste respectueux envers les parents, femmes et personnes âgées démarque l’homme de bien de l’homme de peu. Plusieurs planches de la série exaltent avec insistance l’importance du travail. Les vignettes s’enchaînent en un cycle vertueux dans lequel chacun contribue au travail des autres par ses efforts ou par ses dépenses et consolide la société. Les ennemis sont les avares, les paresseux mais aussi les grévistes !
La science à la portée de la main
«Sachez que l'ignorance est votre pire ennemi»
La parution de la série encyclopédique Glucq intervient dans un contexte favorable. Poursuivant les réformes de l’enseignement entérinées par Victor Duruy sous le Second Empire, les lois Ferry de mars 1882 rendent l’instruction primaire gratuite, obligatoire et laïque. Elles redéfinissent aussi les disciplines de l’école élémentaire. Les sciences, jusque-là au programme à partir de l’enseignement secondaire, figurent désormais parmi les matières, tout comme la géographie. Dans le sillage de Marie Pape-Carpantier, la pédagogie recommandée est la leçon de choses : elle consiste à observer et comparer des objets de la vie courante pour mieux les comprendre. Le discours idéologique est fort : les sciences démontrent l’ineptie des superstitions et de prétendus miracles.
Progrès techniques et industrialisation
«Et l’immortel Watt crée de toutes pièces la machine à vapeur, et par elle, l’industrie moderne.»
A travers la série de Glucq se dégagent aussi les grandes mutations engendrées par la révolution industrielle tout au long du XIXe siècle. Les planches décrivent les découvertes et les procédés de fabrication. L’invention de la machine à vapeur marque un tournant et fournit, en plus du charbon et du gaz, l’énergie indispensable à l’essor des industries. L’exploitation du fer contribue à la mécanisation à grande échelle. Les brevets d’invention de machines se multiplient dans tous les domaines. Ainsi, le métier à tisser perfectionné par Jacquard et la machine à coudre assurent la production en masse de textiles, la machine à papier et les rotatives permettent l’impression à grand tirage des journaux.
L’histoire du charbon / L’histoire du fer
La révolution des techniques repose sur celles du charbon et de l’acier. Le changement des méthodes de production, tels que le choix du charbon de terre plutôt que du charbon de bois et la fabrication de la fonte à partir d’un mélange contenant de la houille, donne de meilleurs rendements. De plus, l’invention du puddlage améliore la qualité de la fonte en enlevant les impuretés. La série Glucq qualifie le charbon d’ « un des corps les plus précieux » et le fer de « roi des métaux ». Ces deux matières premières concourent à la fabrication en grande quantité des machines, pièces et outils. La machine à vapeur, les voies ferrées ou la charrue sont citées mais aussi le fusil, assorti de propos emphatiques sur son rôle dans la défense de la patrie.
L’histoire du journal
Grâce à la production mécanique du papier sous forme de bobine et aux rotatives à vapeur, la presse devient un média de masse. Comparés à la production des presses à bras du début du XIXe siècle, les rendements sont multipliés par 60 ! Le développement du chemin de fer ainsi que le télégraphe électrique, puis le téléphone, contribuent aussi à cet essor en accélérant la diffusion des nouvelles et actualités.
Mécanisation agricole et changements dans l’alimentation
«Labourer la terre est le plus noble travail de l'homme.»
Les planches de la série reflètent aussi l’évolution des habitudes alimentaires des Français au XIXe siècle. Les progrès techniques agricoles et le développement des transports favorisent l’approvisionnement et la diversification de l’alimentation. Au tournant du XXe siècle, la consommation de céréales atteint son apogée, celle de la pomme de terre double entre 1850 et 1900. Le sucre, déjà présent dans la préparation des repas des élites, s’implante au XIXe siècle dans l’alimentation populaire. De même, les denrées dites « coloniales », d’abord réservées aux plus riches, sont de plus en plus appréciées. Avec l’expansion des importations en provenance des colonies, le chocolat, le café et le thé sont accessibles au plus grand nombre à la fin du XIXe siècle.
Ce qu’on fait avec un grain de blé
Longtemps réservé aux gens aisés, le froment devient dans la seconde moitié du XIXe siècle la céréale majoritaire avec la mécanisation. Les semeurs mécaniques et la machine à battre – remplacée par la suite par la moissonneuse-batteuse - augmentent les rendements.
L’histoire du sucre
Dans cette image, le raffinage du sucre est décrit étape par étape : dissolution, filtration, cristallisation, turbinage, jusqu’au moulage en pain de sucre. Le sucre se vendait en effet sous cette forme conique jusqu’à ce qu’elle soit remplacée à partir de la fin du XIXe siècle par le sucre en poudre ou en morceaux.
Les bavardages d’une boutique d’épicerie
L’épicier assoupi rêve de la variété des provenances de ses produits et leur donne la parole en cumulant les stéréotypes. Qu’ils soient d’Inde, du Mexique et de Guyane, les indigènes se ressemblent tous. Quant aux femmes européennes, elles se doivent d’être jolies ou belles. L’esprit revanchard est aussi de mise : la choucroute d’Alsace « terre au cœur toujours français » provoque avec malice des tourments gastriques aux Allemands tandis que le riz s’enorgueillit d’avoir « nourri les habitants du Paris assiégé » pendant la guerre de 1870. De même, le papier journal qui sert d’emballage est félicité pour son ardeur patriotique.
Des moyens de communication innovants
"La photographie rend les plus grands services à la société"
Le XIXe siècle est aussi celui du développement des premiers appareils et réseaux de télécommunications. La série encyclopédique n’omet pas de les compter parmi les innovations.
Histoire du télégraphe
Les frères Chappe inventent le télégraphe optique. Plus rapide que le courrier à cheval, il permet en 1794 à la Convention d’apprendre la victoire des troupes de la République sur les Autrichiens en seulement une heure. En quelques décennies, la France se dote de 5000 km de lignes pour son administration militaire. Cependant, le télégraphe électrique ne tarde pas à le supplanter grâce à sa vitesse, sa portée et sa facilité d’utilisation. Ainsi, une petite pile permet d’envoyer un message entre l’Europe et l’Amérique ! Vers 1870, le réseau s’étale sur 2 millions de km² dans le monde.
Après 1876, l’invention du téléphone, attribuée entres autres à Graham Bell, qui permet la transmission des messages par la voix, s’impose rapidement.
Autre moyen de diffuser des messages, les techniques photographiques développées dans la première moitié du XIXe siècle, par Niepce et Daguerre, servent bientôt à diffuser des images dans les journaux et publications, au détriment des différentes techniques de gravure.
CABLÉ Anne, MEYER Emmanuelle, Glucq le bonheur d’apprendre [exposition], Épinal : Ville d’Épinal, 1997.
MAYEUR Françoise, Histoire de l’enseignement et de l’éducation. III. 1789-1930, Paris : Perrin, 2004.
BOYER Myriam, Le goût des sciences [exposition], Rouen : INRP – Musée national de l’Éducation, 2006.
ENGEL Laurence, Sciences pour tous, 1850-1900 [exposition], Paris : BNF, 2017. Accès internet : < http://expositions.bnf.fr/sciencespourtous/>
FLANDRIN Jean-Louis, MONTANARI Massimo (sous la dir.), Histoire de l’alimentation, Paris : Fayard, 1996.
RIOUX Jean-Pierre, La révolution industrielle 1780-1880, Paris : Seuil, 1989.
FEYEL Gilles, « Les transformations technologiques de la presse » In KALIFA Dominique, RÉGNIER Philippe, THÉRENTY Marie-Ève, VAILLANT Alain (sous la dir.), La civilisation du journal : histoire culturelle et littéraire de la presse française au XIXe siècle, Paris : Nouveau Monde, 2011.
Marie Poulain, documentaliste
