Jusqu’au 11 mars 2018, le musée Granet d’Aix-en-Provence présente une rétrospective exceptionnelle du peintre Pierre Tal Coat, présent dans ses collections depuis 1985.
Tal Coat est reconnu mondialement et de nombreuses expositions l’ont mis à l’honneur jusqu’à aujourd’hui. L’exposition du musée Granet s’annonce comme l’événement clôturant l’année qui lui est dédiée.
Ainsi sur plus de 500 m2, le public peut découvrir de façon chronologique près de 180 œuvres qui présentent son parcours de peintre ; de ses début figuratifs et parfois très expressionnistes à la période qu’on dit trop hâtivement « abstraite » après son séjour en pays d’Aix (1940 à 1956), où son travail évolue considérablement à la lumière de Provence.
Aux côtés des toiles et aquarelles de Cézanne présentées au rez-de-chaussée, le public peut découvrir en Tal Coat un artiste inspiré par le père de l’art moderne, choisissant dès les années 40 de s’installer dans la ville d’Aix, au coeur des paysages et des lieux - notamment Château Noir - rendus célèbres par Cézanne.
Les commissaires de l’exposition sont Jean-Pascal Léger et Bruno Ely, conservateur en chef du musée Granet.
La liste est longue des artistes qui furent amis avec Pierre Tal Coat et qui ont reconnu son œuvre.
Pour ne citer que les plus connus : Balthus, Bazaine, Braque, Calder, Chillida, Giacometti, Gruber, Kijno, Masson, Miró, Joan Mitchell, Riopelle, Palazuelo, Ràfols-Casamada, Staël, Zao Wou-Ki...
De nombreux écrivains sont allés à la rencontre de son œuvre : André du Bouchet, Georges Duthuit, Philippe Jaccottet, Henri Maldiney, Wallace Stevens... Tels aussi les conservateurs des grands musées qui l’ont soutenu, Bernard Dorival, Jacques Lassaigne, Jean Leymarie, Georges Salles, James Johnson Sweeney...
On pourrait ajouter une liste abondante d’historiens et de critiques d’art (comme la new-yorkaise Dore Ashton ou Jean Clair, conservateur général du patrimoine, ancien directeur du Musée Picasso) et celle, encore plus vaste, des artistes qui doivent beaucoup à l’invention de Tal Coat et qui (comme Olivier Debré) prirent le chemin de l’atelier de Tal Coat, à Aix ou à Dormont...
La peinture de Tal Coat fut représentée par les plus célèbres galeries françaises (Galerie de France, Galerie Maeght) et elle représenta la France dans les grandes manifestations internationales. Exposée aux Etats-Unis et au Japon comme à la Biennale de Venise et à la Documenta de Kassel, elle fit l’objet, en 1976, d’une rétrospective aux galeries nationales du Grand Palais, à Paris.
Pourtant le nom de Tal Coat – « le peintre des peintres » – ne prend qu’aujourd’hui sa juste place dans l’histoire de l’art. Il semble que le destin de son œuvre ait été d’apparaître et de disparaître pour réapparaître. Cette gloire à éclipses – ou plus lente que d’autres à s’établir – tient sans doute à l’exceptionnelle liberté d’un artiste qui préféra les réponses de la nature aux catégories des Ecoles et l’énergie bienfaisante des sources aux stratégies conquérantes du marché de l’art !
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« Il y a toutes les raisons d’exposer Tal Coat à Aix-en-Provence » dit très tôt Bruno Ely, Conservateur en chef du musée Granet.
Citons-en au moins trois :
Cézanne tout d’abord, le peintre d’Aix dont la peinture, pendant longtemps, n’avait pas eu sa place au musée. Venir à Aix et, en 1943, aller vivre à Château Noir, installer son atelier au rez-de-chaussée alors que Cézanne avait eu le sien au premier étage... Arpenter les collines boisées dans les parages de la Montagne Sainte-Victoire, voilà, pour un peintre, un choix riche de sens !
Pierre Tal Coat vécut à Aix de 1940 à 1956. C’est à Aix que sa peinture connut sa première « grande mutation » (Jean Leymarie) : de la représentation des choses identifiées (comme dans ses Natures mortes) à l’incorporation de la figure dans le paysage (comme dans ses Profils sous l’eau). La campagne d’Aix, les Rochers, les lignes des Failles sous la lumière aveuglante (ou celles des pierres et des pins lorsqu’ils émergent de la brume) ont fourni au marcheur infatigable les motifs de son inspiration.
La Donation Meyer. Ami du poète André du Bouchet, Philippe Meyer fit don à l’Etat d’une impressionnante collection où, par exemple, un Autoportrait de Paul Cézanne dialogue avec le Boxeur de Pierre Bonnard : à côté d’une salle Giacometti, le plus bel ensemble d’œuvres de Tal Coat réunies dans un musée français est exposé en permanence, il couvre la quasi-totalité du parcours de l’artiste : de 1925 à 1985.
Ce propos coïncide heureusement avec le temps d’une cristallisation autour de l’œuvre de Tal Coat. Au printemps 2017, les rencontres au Domaine de Kerguéhennec et le Colloque Tal Coat, Regard sans frontières au CCIC de Cerisy-la-Salle ont mis au jour un élargissement des connaissances, notamment grâce aux catalogues raisonnés en cours d’élaboration, de l’œuvre peint et de l’œuvre gravé de Tal Coat. L’exposition au musée Granet est la manifestation culminante d’une « Année Tal Coat » riche de huit expositions en France et en Allemagne et de multiples publications.
On associe rarement l’œuvre de Tal Coat à l’expressionnisme. Pourtant on peut dire « expressionnistes » ses Portraits des années 1930 : rouge lui-même, le dessin s’affirme sur les visages et sur de francs aplats de couleur, faut-il y voir une blessure ? Les sujets sont traités crûment et frontalement, cette frontalité est essentielle chez Tal Coat. Ainsi La Femme au manchon, le Nu aux bas rouges : le rouge revient puissamment au dos du personnage ou à ses bas, comme aux pieds nus des pastels de ses débuts.
La célèbre série des Massacres (1936) et des Vanités (1936-1937) porte l’horreur de la guerre civile espagnole au cœur de la peinture : avec la douleur et le drame de la guerre, le sujet s’accorde à l’expressionnisme des moyens picturaux. Autour du grand format de la collection du Centre Georges Pompidou, les petits tableaux créent un incendie jaune-orange-rouge tandis que la crudité de leurs verts annonce la toute dernière période de Pierre Tal Coat.
L’histoire de l’art puisera beaucoup dans ces années trente : Portraits de Gertrude Stein, Portraits d’Alberto Giacometti, Portraits de Pablo Picasso. La relation Giacometti-Tal Coat contitue un chapitre de cette histoire, particulièrement si l’on considère les dates des petites sculptures en bronze de Tal Coat : 1934-1935 et 1936-1937.
L’exposition est ponctuée par des Autoportraits, tels celui de 1937 où le peintre s’est représenté devant ses études des Massacres et ceux des dernières années où son visage apparaît encore et s’efface déjà, repris par l’élément, terre ou peinture, terre ou ciel, autant dire, en langue de peinture : lumière.
J’ai dit « ciel » ? Oui mais quand je dis « ciel », je pense toujours « lumière ». Je ne vois pas de limite. Pierre Tal Coat