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Œuvre : Précisions - retable, Polyptyque d'Anchin ; Polyptyque de la Trinité ; polyptyque | Espace WebMuséo Musenor

Statut de l'oeuvre : 
N° d'inventaire : 
2175

Domaine : 
Auteur(s) : 
BELLEGAMBE Jean (peintre)
Titre : 
Polyptyque d'Anchin ; Polyptyque de la Trinité ; polyptyque

Dénomination : 
Lieux création, exécution : 
Date de création ou d'exécution : 
1511
Précision sur la création ou l'exécution : 
1511 (Date de début)
1515 (Date de fin)

Techniques et matériaux : 
Huile sur bois

Dimensions : 
Hauteur en cm. : 161
Largeur en cm. : 112
Hauteur des volets en cm : 162
Largeur des volets en cm : 78
Hauteur des volets en cm : 112
Largeur des volets en cm : 38

Description : 
Le Retable d’Anchin, que l’on a pu comparer, pour l’ampleur et l’ambition de son programme, au Polyptyque de l’Agneau Mystique de Van Eyck, occupe une place de tout premier plan dans l’histoire de la peinture du Nord de la France au début du XVIe siècle. Commandé à Bellegambe probablement en 1511, quand C. Coguin accède effectivement à la dignité d’abbé d’Anchin, il consacre le talent d’un peintre local parvenu à la maturité de son art. Synthèse brillante des traditions gothiques tardives, le style de Bellegambe dont la somptuosité décorative est toujours tempérée par un grand sens de l’ordre et qui privilégie la rigueur du portrait et la douceur des figures à l’expression des mouvements et des passions, s’accorde ici parfaitement à la spiritualité et à la liturgie fastueuse des Bénédictins. Le « passéisme » qui a souvent été reproché à l’œuvre s’explique peut-être avant tout par sa destination et le polyptyque reflète autant les qualités de l’artiste que la pensée du commanditaire qui a dû en concevoir le programme. De même que le débat concernant la datation exacte du retable, celui relatif à son interprétation reste ouvert, d’autant que certains points cruciaux sont encore à clarifier tels que la nature et le contenu du reliquaire et sa relation avec le programme iconographique, le mode de fonctionnement du retable, ou encore le rôle précis qu’il pouvait jouer dans la liturgie d’Anchin.
Lorsqu’il est fermé, le retable représente non une glorification de la croix mais les bénédictins d’Anchin en prière devant le Sauveur et la Vierge. La composition montre la communauté guidée par son abbé dans la voie de la sainteté, dont les conditions sont résumées par les inscriptions et l’enjeu figuré par les couronnes. L’importance accordée à l’abbé est conforme à la Règle de saint Benoît selon laquelle « on le regarde comme tenant lieu du Christ dans le monastère » (chapitre 2) et, comme l’ont montré HALL et UHR, le motif de la course appartient aussi à la tradition bénédictine. Les inscriptions, dont certaines sont extraites de textes liturgiques, s’organisent en un discours cohérent. Le verset partagé entre l’abbé et le prieur (Cant. 1, 3-4) énonce le thème principal de la composition dont le sens est développé et éclairé par les citations de Paul et des Psaumes. Or ces mêmes citations sont fréquemment utilisées par les commentateurs du Cantique des Cantiques dans l’explication de ce verset. Ainsi Origène se fonde sur la citation de l’épître aux Corinthiens (associée au Christ dans le retable) et un passage de l’épître de Paul à Timothée, reliant ainsi implicitement le motif de la course à celui de la « couronne de justice ». Chez Grégoire le Grand, l’exhortation « entraîne-moi après toi » est lue à la lumière de Romains 7, 25 (où Paul évoque la dualité de l’homme, écartelé entre la loi de Dieu et la loi du péché), opposant ainsi le poids de la nature et l’élan donné par la grâce (motif qui est souligné dans le retable par les deux citations associées au Christ). Dans le commentaire de la deuxième partie du verset où il explicite la métaphore de la course, Grégoire fait explicitement le lien avec 1 Corinthiens 9, 24. Enfin, chez saint Bernard, notre verset est mis en relation avec Romains 9, 16 et Psaumes 118, 32. La réunion de ces citations dans le retable n’a donc rien d’arbitraire ou d’original : elles constituaient déjà une constellation signifiante dans la tradition exégétique à laquelle a dû puiser le concepteur du programme. Dans le Cantique des Cantiques, la « course » mène à la « chambre du Roi » (Cant. 1, 4) que les exégètes interprètent comme la vision de Dieu : c’est cette vision, à laquelle participe la communauté des saints, que nous montre le retable ouvert. En ce sens, cette composition n’est pas sans affinités avec les images de la Toussaint (Allerheiligenbilder) ou de la Civitas Dei. Comme dans le Retable Landauer de Dürer, la Trinité est encadrée par les intercesseurs, les apôtres, des saints et martyrs, ainsi que des prophètes de l’Ancien Testament. L’opposition verticale entre la terre et le ciel est remplacée à Anchin par l’opposition entre les deux faces du retable. A la différence du Retable Pottier, le Polyptyque d’Anchin n’est pas une œuvre didactique subordonnée à la propagande dogmatique, mais représente les conditions du salut en termes à la fois moraux et théologiques, les moyens et les fins de la vie chrétienne. Les ouvertures successives du retable figurent en quelque sorte le étapes de l’ascension de l’âme vers Dieu, qui devient lors de la dernière ouverture le seul objet de contemplation.

La structure matérielle du Polyptyque d'Anchin, qui en fait un retable à transformations, est nourrie par le génie de Bellegambe dont la peinture sert admirablement ces jeux d'associations, d'oppositions ou de mises en parallèles. Mais cette structure, comme l'extrême qualité picturale de l'œuvre, sont elles-mêmes au service d'une théologie et d'une spiritualité à la fois subtiles et clairement affirmées. Du retable fermé à la vision glorieuse, dans l'or de la partie centrale, du retable ouvert, et à l'ultime ouverture qui dévoilait la face antérieure du reliquaire orfévré où étaient figurées la Vierge et la Trinité, on passait en trois visions successives de l’image du monde terrestre à celle du monde immatériel, dénoté par la présence de l’or. Réduite aujourd’hui au retable polychrome, l’œuvre est privée de cette ultime vision qui était sans doute, pour les moines d’Anchin et les fidèles, la plus chargée de sens et de sacralité.
La forme en T renversé adoptée dans ce retable est vraisemblablement la conséquence de sa fonction initiale : protéger et magnifier le reliquaire devant lequel il était placé sur le maître-autel. Cette forme permet en effet de mettre en relief la partie centrale, adaptée au format de la custode, et consacrée aux figures hiérarchiquement les plus élevées et les plus saintes. Elle illustre aussi parfaitement le glissement cultuel qui s’opère au cours du XVe siècle des reliques vers les images. L’image bénéficiant, comme par « contact » avec la relique, d’une valeur cultuelle identique.

Le retable fermé.

Même si les quatre panneaux composant cet ensemble forment une composition unique, comme le montre en particulier la continuation de l’espace architectural qui sert de cadre et de fond aux figures, les deux panneaux centraux ont cependant une unité plus forte, malgré le cadre qui sépare ces deux volets juxtaposés. Dans la moitié gauche, assis sur un trône monumental, le Christ, nimbé de rayons dorés, est montré de face, le regard tourné vers le spectateur et les bras largement ouverts. Son visage ovale aux traits juvéniles est encadré d’une longue chevelure séparée par une raie centrale et retombant en boucles sur les épaules. Il est vêtu d’un perizonium et d’un manteau écarlate ourlé d’or, au revers bleu, et retenu aux épaules par une triple agrafe ornée de pierres et de perles. Son torse est nu ; l’un des pans du manteau est rabattu sur ses jambes et ne laisse apparaître que ses pieds reposant sur un coussin de velours vert. Son flanc comme ses paumes et ses pieds portent les marques de la crucifixion. Il est ainsi figuré comme un Christ du Jugement Dernier, à la différence près que le geste de monstration des plaies (Ostentatio Vulnerum) est ici inversé. Le bras droit baissé semble désigner le donateur en oraison sur le panneau latéral, tandis que la main gauche levée attire l’attention sur la haute croix orfévrée placée à sa gauche. Cette croix ornée de pierres précieuses est supportée par une colonnette en candélabre dont la base à arcades est fixée à un globe de cristal posé au tout premier plan au bord de la marche du trône. Elle est surmontée de trois couronnes superposées se détachant dans une gloire lumineuse et tenues par deux couples d’angelots vêtus de bleu et de rose, dont le premier porte en outre une palme et une épée. Le trône du Christ est couvert d’une voûte reposant sur deux piliers et deux colonnettes dont la base est formée de dragons affrontés. Derrière le Christ est tendu un drap d’honneur orné de perles au dessus duquel apparaît la coquille d’une voûte en cul-de-four. Agenouillés sur les deux marches convexes menant au trône, deux angelots, en tunique violette à franges et col vert, attirent l’attention du spectateur sur l’inscription d’un cartouche dont ils tiennent d’une main les chaînettes. La citation de l’épître aux Romains (9, 16) explicite la signification de l’ostension des plaies par le Christ. Elle affirme en effet que la condition première du salut des hommes réside dans la miséricorde divine, dont le sacrifice christique est la manifestation suprême. L’idée est habilement contrebalancée par l’exhortation paulinienne inscrite sur le phylactère qui s’enroule à la croix : Courez donc de manière à remporter (le prix) (1 Corinthiens 9, 24). Cet appel volontariste dont le « prix » est figuré par les trois couronnes portées par les anges, loin de contredire la première citation définit le rôle de la foi et de la volonté humaine dans le cadre d’une théologie de la grâce. Ce thème de la « course au salut », repris en écho par d’autres citations, parcourt toute la composition et en constitue l’une des lignes directrices.
Dans la moitié droite, la Vierge agenouillée présente au Christ une couronne qu’elle tient dans ses mains. Sa tête pieusement inclinée est nimbée de rayons dorés, son cou est paré d’un collier d’or et d’une chaîne ornée d’une pierre triangulaire. Elle est vêtue d’une longue robe brune semée d’étoiles, serrée à la taille par une large ceinture dorée d’où pend une cordelière retombant à ses pieds, et d’un manteau bleu doublé d’hermine dont quatre angelots formant cercle autour d’elle portent la traîne. A droite, l’un d’eux, vêtu de blanc, se tourne vers les moines du panneau latéral d’un geste symétrique à celui l’ange du panneau précédent. Au premier plan, l’ange en tunique blanche et manteau rose, agenouillé de dos et tournant la tête vers le spectateur, tient un miroir ; celui placé à gauche de la Vierge porte une palme ; celui vêtu de blanc derrière la Vierge, un rameau où fleurissent trois roses blanches. Ces objets emblématiques, auxquels il faut ajouter le lys blanc, peint dans le coin droit, et à la tige duquel est enroulé un phylactère, figurent des métaphores mariales empruntées aux litanies ; associés depuis la fin du XVe siècle aux représentations de l’Immaculée Conception, ils sont des symboles de la pureté virginale. Aux pieds de la Vierge est posé un cartouche dont l’inscription semble répondre à celle du phylactère enroulé à la croix : sans faute j’ai couru. La Vierge apparaît ainsi à la fois comme la bénéficiaire exemplaire de la grâce divine et le modèle de vertu à imiter par tout chrétien.
La Vierge et les quatre angelots se tiennent sur une terrasse carrelée, devant un portique dont les arcades en plein cintre sont soutenues par de hautes colonnes galbées reposant sur des piédestals. Au second plan, des anges, dont cinq sont réunis au-dessus de la Vierge, descendent des cieux en portant les couronnes destinées à celles et ceux qui ont su les « remporter ». A l’extrême gauche, sous le portail d’une rotonde, une jeune femme reçoit sa couronne d’un ange qui lui désigne les autres « élus ». Ceux-ci, laïcs et religieux, sont disséminés dans un pré à droite en contrebas de la terrasse : le groupe principal est agenouillé près du portique devant un ange en tunique bleue et manteau rouge. Il réunit deux jeunes femmes richement vêtues, une religieuse en habit cistercien et un moine tonsuré dont on aperçoit seulement la tête, auxquels se mêlent les angelots porteurs de couronnes. De part et d’autre de ce groupe, deux autres anges couronnent un religieux (?) en habit brun et un homme en tunique rouge, tous deux agenouillés les mains jointes. Un troisième attend sa couronne qu’un ange apporte en courant. Plus loin, deux autres hommes lèvent la tête et les bras au ciel. La composition est fermée à droite par le portail nord de l’église représentée sur le panneau latéral. L’arrière-plan représente une baie ou une vallée fluviale sur fond de hautes montagnes bleutées. A gauche, des voyageurs débarquent d’un trois-mats. A droite, au-delà d’une rivière alimentant la roue d’un moulin, on aperçoit les tours et les clochers d’une ville.
L’unité des panneaux centraux est renforcée par la continuité de leur décor architectural : les arcades du portique se poursuivent à droite du trône du Christ et au fond, la rotonde est partagée entre les deux panneaux. Cet édifice à coupole de style gothique tardif comporte une galerie surmontée de fenêtres hautes ; le tambour est percé de baies couronnées de gâbles. Le portail en arc surbaissé est couronné d’un fronton cintré. Les contreforts sont ornés de statues de femmes.

Sur le panneau latéral gauche, Charles Coguin est agenouillé devant un prie-dieu. Accompagné de deux acolytes qui portent sa mitre et sa crosse, il est présenté par Charlemagne en costume impérial. L’abbé d’Anchin est tourné vers le Christ, joignant ses mains gantées de violet ; il porte une chemise blanche sous une tunique mauve et une chape de brocart au revers bleu. Les orfrois de cette chape représentent deux anges en pied portant les Arma Christi (la couronne d’épines et la lance). Son agrafe est ornée d’une Trinité. Sur le prie-dieu couvert de velours vert, un livre ouvert (dont les inscriptions sont feintes) est posé dans sa custode violette. Derrière Coguin, sont agenouillés deux diacres en dalmatiques de brocart rose à franges vertes. Le plus âgé porte à deux mains la lourde mitre brodée d’or, ornée de perles et de pierres précieuses ; tourné vers lui, son compagnon tient de la main gauche la crosse abbatiale et désigne l’abbé de son bras droit. La crosse en vermeil s’achève par une volute ornée de fleurons et en son centre d’un médaillon représentant deux abbés assis portant le reliquaire du Saint Sang. Son nœud, auquel pend le sudarium, figure deux cerfs adossés tenant un écu entre leurs pattes et supportant un modèle de l’abbatiale d’Anchin. Debout entre les diacres et Coguin, Charlemagne est montré de face, arborant les insignes de son pouvoir : la couronne impériale sommée d’une croix, le glaive, qu’il tient dans son gantelet de fer et le globe impérial présenté de la main gauche. Sa tête, nimbée d’une auréole circulaire (en accord avec le titre de bienheureux qui lui a été conféré), est légèrement inclinée, les yeux tournés vers les accessoires abbatiaux. Il est vêtu d’une tunique orange portant l’aigle impériale et d’un manteau bleu semé de lys d’or et fourré d’hermine. A son cou pend un collier de coquillages auquel est accrochée une médaille de saint Martin. Certains auteurs ont cru reconnaître dans la figure de Charlemagne un portrait de l’empereur Maximilien. La présentation ostentatoire de la mitre et de la crosse, le geste du diacre comme le regard de Charlemagne, viennent rappeler avec solennité l’accession de Coguin à la dignité d’abbé. En haut à gauche, deux angelots vêtus de tuniques rose et verte portent l’écu aux armes de Charles Coguin (aujourd’hui effacées), surmonté en cimier d’une crosse où s’enroule un phylactère avec la devise de l’abbé.
Les personnages sont représentés sous un portique dont les arcades sont soutenues par des piliers flanqués de quatre colonnettes engagées. A l’extérieur, les chapiteaux des colonnettes sont couronnés d’une statue de putto sous un dais. A gauche, cinq notables groupés dans l’embrasure de l’arcade latérale assistent à la scène. L’un d’eux, vêtu d’un manteau de fourrure brun clair, la main sur la garde de son épée, désigne Coguin (?) de l’index en se retournant vers son voisin qui lui pose une main sur l’épaule. DEHAISNES identifie le premier avec le bailli et ceux qui l’accompagnent avec des juges ou des échevins de Douai. Le jeune homme à la toque rouge regardant vers le spectateur est parfois considéré comme un autoportrait de l’artiste. A l’arrière-plan, au fond d’une place où travaille un paysan, est représentée l’abbaye d’Anchin, peinte sans doute d’après nature. Le mur d’enceinte percé d’un petit porche est flanqué d’un corps de passage à trois arches surmonté en façade de cinq lucarnes pignons auxquelles on accède par un escalier hors-œuvre. A gauche, on aperçoit le bloc occidental de l’abbatiale Saint-Sauveur avec ses quatre clochers rectangulaires surmontés de flèches. La façade romane au portail trilobé comporte trois niveaux d’arcades et est couronnée par un pignon. A droite de Charlemagne, les arcades donnent sur une autre place bordée par la façade gothique d’un haut édifice flanqué à gauche d’une tourelle. Deux personnages se tiennent devant son portail tandis que deux autres traversent la place en courant vers le centre du retable, illustrant ainsi la parole de Paul et celle inscrite sur le phylactère de l’abbé.

Sur le panneau de droite, la communauté bénédictine d’Anchin, agenouillée derrière le grand prieur, est présentée par saint Benoît, le fondateur de l’ordre. Le prieur a les mains jointes et le regard tourné vers la Vierge et le Christ. Son visage a des traits aussi individualisés que ceux de Coguin, il s’agit certainement d’un portrait. Il porte un habit blanc sous une chape de brocart, dont les orfrois représentent sainte Barbe et sainte Catherine, et l’agrafe une Vierge à l’Enfant. Les moines en habit noir, et dont le peintre a habilement varié les physionomies et les attitudes, composent un groupe animé et plein d’humanité. Debout à droite, saint Benoît incline le buste en désignant le prieur du bras droit. Il porte une tunique blanche, un habit vert et une chape de brocart à revers mauve, retenue par une agrafe ornée d’une Annonciation sous des arcades. La crosse abbatiale qu’il tient dans sa main gauche est ornée d’une Annonciation sous un dais surmontée de deux putti.
Les bénédictins sont rassemblés dans une salle carrelée en échiquier donnant à gauche sur la terrasse où se tient la Vierge du panneau central et communiquant par un portique avec une église de style composite montrée en perspective oblique. A droite, les deux piliers qui encadrent saint Benoît sont surmontés d’une baie au remplage trilobé devant laquelle deux angelots portent l’écu de l’abbaye d’Anchin. A gauche, la colonnade à l’antique conduit à un porche percé à droite par les deux arcades cintrées du portail sud de l’église. Les piles sont ornées à l’extérieur d’une statue de Moïse sous un dais et à l’intérieur d’une statue représentant une femme. Une troisième arcade cintrée permet d’entrevoir la nef de l’église et son chœur gothique à trois niveaux d’arcades. Sur le maître-autel est placé un retable sculpté, en forme de T renversé et représentant un Christ en croix dont un ange recueille le Saint Sang. Saint Jean se tient à droite de la croix au pied de laquelle est posé un crâne. Le retable est surmonté d’une crosse ornementale à la volute de laquelle est suspendue la réserve eucharistique. A droite de l’église, se déploie un paysage urbain dans lequel DEHAISNES reconnaît le village d’Anchin. Au bord du chemin menant à l’église, se dresse un premier édifice à pignon dentelé flanqué d’une tour cylindrique et auquel on accède par un porche. Il pourrait s’agir de la chapelle dite « des Ardens ». A sa droite, des façades à pignons de maisons flamandes bordent une petite place. Derrière saint Benoît, se détache la façade d’un autre édifice dont le pignon est orné d’un cadran et est couronné par un clocheton. Il s’agirait de l’hôtel de ville de Pecquencourt construit sur ordre de Pierre Toulet, abbé d’Anchin de 1448 à 1464. Le thème de la course au salut repris par l’inscription du prieur est figuré comme dans le panneau de gauche par plusieurs personnages courant vers le Christ. Deux d’entre eux traversent la place devant la « chapelle des Ardens » et se précipitent vers l’église, tandis que, sous le porche de l’église, un jeune homme indique à sa compagne la voie à suivre.

La composition rassemble dans le même espace deux niveaux de réalité différents, la communauté d’Anchin et le double objet de sa dévotion : le Christ Sauveur et la Vierge d’intercession, réunissant ainsi le couvent autour des deux figures auxquelles l’abbatiale a été consacrée. A travers les deux saints qui se répondent aux deux extrémités du tableau, c’est même toute la chrétienté dans ses dimensions temporelle et spirituelle qui est conviée à cette adoration. On a pu dire également que le décor avec ses architectures de style composite, ses édifices variés (église, palais abbatial, hôtel de ville) et son paysage synthétique (mer, prairies, campagnes, cités, montagnes) offrait une image du monde dans sa totalité spatiale et temporelle. Les inscriptions des panneaux latéraux prolongent clairement celles de la partie centrale. Toutes semblent répondre à l’appel paulinien en reprenant explicitement le motif de la course. Celles associées à Coguin et au prieur constituent les deux parties du même verset du Cantique des Cantiques : Trahe me post te / curremus in odorem unguentorum tuorum, et se font écho ainsi d’un volet à l’autre à la manière des voix dans un chant liturgique. En matérialisant la relation intime entre l’abbé et son couvent, elles traduisent aussi l’élan unanime de la communauté bénédictine vers Dieu. Les inscriptions associées aux saints personnages, comme celle de la Vierge, conjuguent le motif de la course au passé : ces trois figures sont donc présentées comme des modèles accomplis de sainteté à imiter par toute la communauté. Comme dans le volet réservé au Christ, mais plus discrètement, la course, c’est-à-dire l’effort vers la sainteté, est envisagée dans sa relation à la grâce, comme l’indique la subordonnée du verset du Psaume 118 associé à Charlemagne : J’ai couru sur la voie de tes commandements quand tu as ouvert mon cœur.
Nous ne connaissons pas d’œuvre qui aurait pu servir de modèle à ce type de composition. Dans la scène centrale qui juxtapose le Christ assis et la Vierge agenouillée tenant une couronne, le peintre semble s’emparer d’éléments disparates empruntés à la tradition iconographique médiévale (le Christ-Juge trônant, la Vierge d’intercession, la symbolique des Litanies) pour les fondre en une image originale, sans doute largement inspirée par le projet du commanditaire. A la différence des représentations de la double intercession fondées sans doute sur le Speculum Humanae Salvationis et dont les panneaux de Colyn de Coter au Louvre offrent un exemple du tout début du XVIe siècle, le Christ n’est plus montré à genoux portant sa croix, dans une attitude symétrique à celle de sa mère : trônant au-dessus de tous les autres personnages, il apparaît de face, le regard tourné directement vers le spectateur et constitue ainsi le véritable centre vers lequel convergent toutes les figures de la composition.

Le retable ouvert.
La composition représente la Trinité encadrée par la Vierge, Jean-Baptiste, les apôtres et la communauté des saints. La Deesis, constituée de la Trinité et des deux Intercesseurs, est unifiée formellement par le Trône du panneau central dont les arcs-boutants et la base se prolongent sur les deux autres panneaux. Les dais sous lesquels sont placés la Vierge et Jean-Baptiste séparent cet ensemble central des figures des saints sur les panneaux latéraux. Sur les trois panneaux, les personnages du premier plan sont éclairés par la droite, mais l’arrière-plan baigne dans la lumière irréelle qui semble émaner de Dieu : le fond jaune d’or, gloire sur laquelle se détache la tête du Père, se fond dans le bleu du ciel au-dessus du trône et vire au rosé dans les parties latérales.

Le groupe de la Trinité est placé sur un trône d’or au décor luxuriant dont les tribunes accueillent deux orchestres angéliques. Montré de face, Dieu le Père porte le Christ sur son genou droit et présente de sa main gauche le Livre de Vie ouvert où sont inscrites les paroles de l’Apocalypse : Je suis l’alpha et l’Oméga, le commencement et la fin. Dieu le Père, représenté sous l’aspect de l’Ancien des Jours, est coiffé d’une tiare pontificale et porte une longue tunique blanche sous une dalmatique rose recouverte d’un manteau rouge à revers vert et orné de perles et de pierres précieuses. Sa tête à la grande barbe grise, nimbée de rayons dorés, se détache sur le fond jaune d’or de l’arcade. Son regard est tourné vers le Christ. Placé à la droite du Père, celui-ci est représenté en Homme de Douleurs : sa tête inclinée, les yeux tournés vers la Vierge, est ceinte de la couronne d’épines qui ensanglante son front. Son corps nu, aux proportions graciles, vêtu d’un simple perizonium, porte les cinq plaies de la crucifixion. De la main droite, il écarte les lèvres de la plaie faite au côté. Des doigts de la main gauche, il tient la page gauche du Livre de Vie. Ses pieds reposent sur un globe de cristal. Le Saint-Esprit représenté sous la forme d’une colombe est posé sur la tranche du Livre, les ailes déployées et la tête tournée vers le Christ.
L’arcade encadrant Dieu le Père est supportée par deux piliers ornés de colonnettes fasciculées couronnées par des putti à l’antique. Ces piliers sont épaulés par deux arcs successifs séparés par une culée intermédiaire servant de séparation entre le panneau central et les panneaux latéraux. Le soubassement et le dais du trône d’or forment deux tribunes symétriques occupées par des anges musiciens. Agenouillés de dos sur la première marche du trône, six séraphins aux ailes rouges chantent le Cantique des anges dont les paroles sont peintes comme s’échappant de leurs lèvres. Deux d’entre eux croisent les mains sur la poitrine ; deux autres écartent les mains tandis que les deux derniers ouvrent les bras en regardant la Trinité.
La Trinité d’Anchin est une variante du Trône de Grâce, type iconographique qui s’est constitué au début du XIIe siècle. Cette formule qui montre le Christ mort assis sur les genoux de Dieu le Père représenté sous l’aspect de l’Ancien des Jours, est apparue dans le nord de l’Europe au cours du XIVe siècle et reçoit au XVe siècle sa forme définitive. Elle est très fréquente dans les Pays-Bas où on la nomme traditionnellement Vader-Pietas (« Pitié-de-Notre-Seigneur »). Les Trinités de ce type, peintes au XVe et au début du XVIe, se réfèreraient à une composition du Maître de Flémalle. Le groupe de la Trinité d’Anchin reste largement tributaire de ce modèle encore très vivace au début du XVIe siècle, mais il s’en distingue aussi par certains détails dont la tiare à trois couronnes portée par Dieu le Père, le globe sous les pieds du Christ (symbole de la royauté), le Livre de Vie qui permet de souligner l’unité des trois Personnes (tenu par le Père, il est feuilleté par le Fils, et sert d’appui à la colombe du Saint-Esprit). Par ailleurs, le regard de Dieu le Père n’est plus tourné vers le spectateur mais vers son Fils qui est « éveillé » (il tourne les yeux vers la Vierge) au lieu d’être représenté sous l’aspect du Christ de Pitié. Enfin, les anges assistants sont supprimés. Le trône resplendissant et les séraphins sont empruntés à la vision de Jean dans l’Apocalypse (4, 2-11). Ce texte auquel renvoie explicitement le chant des séraphins donne une dimension nettement eschatologique à la vision de la Trinité et assure un lien discret avec le sujet figuré sur l’autre face du retable.

Les deux intercesseurs, la Vierge et saint Jean-Baptiste, sont représentés de trois-quarts face, tournés vers la Trinité. A gauche, trônant sous un baldaquin rouge clair à franges vertes, la Vierge se tient les yeux baissés et les mains croisées sur la poitrine. Deux angelots viennent poser une couronne sur sa tête nimbée de rayons dorés. Elle porte une tunique rose sous une robe bleu-gris, serrée à la taille par une cordelière, et un manteau bleu fourré d’hermine. Son cou est orné d’un collier similaire à celui qu’elle porte sur la face antérieure du retable. A droite, saint Jean-Baptiste, assis sur un trône couvert d’un dais vert à courtines, lève la tête vers la Trinité en joignant les mains. Il est vêtu d’une mélote brun clair, le dos couvert d’un manteau rouge vif ; sa tête est surmontée d’un nimbe circulaire doré. Aux pieds des deux intercesseurs, face à la première marche du trône, deux anges thuriféraires agenouillés encensent la Trinité. Ils portent, comme des diacres, une aube et une dalmatique de couleur verte. D’autres angelots, dont l’un joue du violon, sont massés entre les parties latérales du trône et les intercesseurs. A l’arrière-plan de ces panneaux, les arcs symétriques encadrent deux épisodes vétéro-testamentaires liés typologiquement aux figures du premier plan : derrière la Vierge, Eve est agenouillée près d’un ange au pied de l’arbre de la connaissance et accompagnée d’Adam, représenté debout, le bras levé vers la droite. Eve joint les mains tandis que l’ange semble lui désigner Celle qui est destinée par Dieu à sauver l’humanité du mal : Marie, la « nouvelle Eve ». Derrière Jean-Baptiste, Moïse, reconnaissable à ses cornes et à la verge qu’il porte contre son épaule, désigne du bras tendu un point extérieur au panneau et se retourne vers le peuple Juif. Le premier prophète est ainsi associé au dernier, celui que les chrétiens nomment le Précurseur.

Le panneau latéral gauche réunit les apôtres et les vierges. Assis au premier plan, saint Pierre et saint Paul bénéficient, conformément à la tradition, d’une position privilégiée : le « prince des apôtres » est représenté en costume pontifical, mais tête nue : vêtu d’une tunique rouge ourlée de noir et d’une chape de brocart bordée de perles et fermée par une agrafe ornée de pierres précieuses, il tient de la main droite la clef ouvrant la porte du Ciel. Sa tête est tournée vers un nouveau-né prostré, adossé au pied de son siège dans l’attitude traditionnelle du melancolicus, et à qui il semble désigner du bras gauche la Trinité centrale. Cette figure symbolise probablement le limbe des enfants dont les âmes, souillées par le péché originel, sont privées de la vue de Dieu. Second pilier de l’Eglise universelle, saint Paul est plongé dans la contemplation de la Trinité, les mains croisées sur l’épée de son martyre. Il porte une tunique verte et un manteau violet ; à sa ceinture pend un livre dans sa custode de toile. Les autres apôtres sont réunis sous les arcades de la rotonde qui se dresse derrière Pierre et Paul. A gauche, dans un manteau bleu, on reconnaît saint Jean tenant une coupe et se retournant vers l’enfant ; puis, en manteau rouge, saint André accompagné de sa croix et désignant la Trinité à saint Jean. Derrière eux, on devine la scie de saint Simon et la croix de saint Philippe. La rotonde est surmontée d’une tribune occupée par des angelots musiciens. Aux piliers supportant les deux niveaux d’arcades sont adossées des colonnettes couronnées de putti tenant des guirlandes dorées. D’autres putti sont abrités dans une niche surmontant la colonne placée à droite de la composition, et qui se rattache à l’architecture du trône de la Vierge. Au pied de cette colonne, l’angelot en tunique bleu-blanc et écharpe rose porte la traîne de la Vierge, raccordant le panneau à la partie centrale du retable. Au second plan, sous un portique Renaissance, est rassemblée une multitude de vierges, laïques et religieuses, dont certaines portent la palme des martyres. Deux d’entre elles, l’une à la tête du groupe, l’autre gravissant les marches du portique à sa rencontre, s’adressent avec autorité à une femme couronnée de fleurs, qui se tient au pied de l’escalier. DEHAISNES et DE LE RUE voient dans cette scène une allusion à la parabole des vierges sages et des vierges folles. Au fond la vue de ville avec ses tours et ses clochers est peut-être une évocation de la Jérusalem céleste.

Au premier plan du panneau de droite s’avance le groupe des martyrs tous auréolés d’un nimbe circulaire doré. Saint Etienne, le protomartyr, se tient en tête du groupe, les mains jointes, le regard tourné vers le Trône de Grâce. Il est vêtu d’une dalmatique de brocart bleu-vert à franges, col et ourlets dorés et ornés de perles. Il est suivi de sainte Catherine d’Alexandrie, portant une roue et relevant d’une main le bas de sa robe de brocart au bustier orné de perles que couvre un manteau rouge doublé d’hermine. Une autre sainte tenant la palme du martyr se tourne vers elle. Elle porte une robe brun foncé, sa tête est couverte d’une coiffe. Bien qu’elle soit dépourvue d’attribut, sa position devant une tour permet peut-être de l’identifier avec sainte Barbe. A droite trois autres saints, dont on n’aperçoit que les têtes, figureraient les confesseurs, parmi lesquels le religieux tonsuré serait saint Bernard. Derrière l’arcade qui encadre les martyrs, on reconnaît un roi couronné tenant une épée (saint Louis ?) ouvrant le cortège des milites Christi en armure. Parmi les pointes des lances, flottent deux étendards : une longue bannière jaune à revers rouge et un étendard carré, rouge, portant des fleurs de lys ou les armes de Marchiennes. L’arcade en plein cintre est supportée par deux piliers ornés de statues. A gauche, trois niches abritent des allégories des vertus théologales : l’Espérance tenant une bêche ; la Charité, une étoile ; la Foi, un cierge. A droite, un nu viril détournant le regard et tendant le bras vers les Vertus s’appuie sur une bêche, représente probablement Adam (?). Au-dessus de l’arc orné d’arabesques, la tribune est occupée par des anges musiciens jouant du luth, de l’orgue, de la flûte traversière et du violon.
A gauche, devant les martyrs, un groupe de sept enfants figure les saints Innocents. L’un d’eux, à l’écharpe verte, porte une palme. Un second, en chemise blanche et manteau rose, tire la ficelle d’un « virolet ». Parmi eux, un angelot ailé vêtu de bleu souffle des bulles dans une paille. Derrière la colonne qui ferme la composition à gauche, sur les marches d’un escalier, Aaron vêtu d’une tunique bleue et d’un manteau rouge se tourne vers les martyrs en désignant la branche qu’il porte et à laquelle pend une grappe de raisins. Derrière lui, on distingue Moïse portant la verge et un autre personnage vétéro-testamentaire. Au troisième plan, au seuil d’un édifice à deux niveaux d’arcades qui occupe le centre d’une place, se tiennent trois femmes richement vêtues, dont sainte Marie-Madeleine en robe verte et manteau blanc bleu, tenant un vase à parfum, et sainte Marie l’Egyptienne, en robe grise et manteau rouge, portant trois pains. La troisième est vêtue d’une robe rose et d’une veste bleue. Sous les arcades se trouvent d’autres femmes, dont l’une tient un livre ouvert, accompagnées d’un vieillard. Au balcon de la loggia, on reconnaît des papes, des cardinaux, des évêques d’Orient et d’Occident. L’édifice où sont rassemblés tous ces personnages est flanqué d’une tour à escalier extérieur que gravissent des religieux (ermite, moines), et des laïcs guidés par des angelots. Un attique formant tribune accueille un orchestre d’anges (trompette ou cor, flûte traversière, chanteur, luth, violon, trompette). Pour DEHAISNES, l’édifice figurerait une « tour de perfection ». Il pourrait en effet être une allusion à l’échelle de l’humilité dont les divers degrés permettent d’accéder à l’état de perfection, thème qui apparaît dans la Règle de saint Benoît. En tout cas ce motif ascensionnel semble prendre ici le relais du thème de la course déjà évoqué. A gauche, la place est animée d’enfants nus tenant la palme des martyrs, jouant aux échasses (à gauche de Marie-Madeleine), ou encore chevauchant des chevaux de bois. Au fond, sur une colline séparée de la place par une palissade et dominée par un donjon, des personnages dansent en rond, accompagnés d’un joueur de tambour.
Le programme complexe de ce retable a fait l’objet depuis la fin du XIXe siècle d’interprétations divergentes que reflètent les titres variables donnés aux deux compositions. Si les auteurs s’accordent sur l’idée qu’elles opposent deux niveaux de réalité différents, l’un terrestre et l’autre céleste, les sujets, leur signification iconographique et la fonction du retable ont donné lieu à plusieurs analyses. Pour DEHAISNES, les deux compositions constituent des scènes d’adoration symétriques : à l’Eglise terrestre adorant la croix montrée par le Sauveur, à ce « triomphe de la Croix » représenté sur le retable fermé, répondrait sur le retable ouvert une figuration de l’Eglise céleste adorant la sainte Trinité. Ces scènes renverraient selon cet auteur aux deux principaux cultes pratiqués à Anchin, celui du saint Sauveur et celui de la sainte Trinité. DE LE RUE rejette cette lecture qui ne rendrait pas compte de la cohérence formelle et sémantique du retable et passerait à côté de son véritable sujet. Réduite à une croix de procession et refoulée dans un espace secondaire, la croix ne saurait selon lui constituer le motif central du retable fermé : ni les couronnes qui la surmontent ou qu’on offre aux fidèles, ni les inscriptions ne se rapportent à sa dévotion. De même, dans le retable ouvert, les épisodes vétéro-testamentaires, la parabole des vierges, la tour ou « escalier de perfection », motif issu de l’ascétique chrétienne, et le limbe des enfants n’ont aucun rapport avec le dogme trinitaire, auquel d’ailleurs les inscriptions du panneau central ne font pas allusion. Selon DE LE RUE, le polyptyque représenterait la « Vie Surnaturelle », les deux compositions qu’il intitule « la grâce » et « la gloire » correspondant aux deux degrés de cet ordre de la Rédemption. Fermé, le retable montre l’action de la grâce divine dans le monde terrestre. Plus que la croix, l’instrument privilégié de la grâce est ici le Sauveur avec ses cinq plaies « d’où découle toute notre participation à la vie divine, tout l’ordre surnaturel ». L’élan des hommes vers cette vie surnaturelle est figuré par l’image de la « course » dont le salut est le prix et à laquelle la grâce nous fait concourir. Les modèles de vie selon la grâce sont donnés par les deux saints et par la Vierge immaculée, qui a su éviter l’obstacle du péché et qui a reçu dès ce monde-ci la « couronne de justice ». C’est à ce modèle de pureté que se conforment les multiples vierges qui reçoivent des couronnes et c’est à elle encore que l’abbé Coguin demande aide à travers un verset du Cantique des Cantiques employé précisément dans les Offices liturgiques de la Vierge. Ouvert, le retable représente le Ciel, c’est-à-dire la gloire de Dieu resplendissant sur tous les saints. La Trinité, source de toute sainteté, est encadrée par la Vierge et Jean-Baptiste, tous deux sanctifiés dès leur naissance. Les autres personnages sont disposées conformément à l’ordre liturgique du missel et de l’office divin : apôtres, martyrs, pontifes, confesseurs (abbés, moines, rois, chevaliers) et vierges. Les scènes d’arrière-plan constituent un contrepoint typologique aux figures du premier plan : Eve est couplée à la Vierge, coopératrice de la rédemption ; Moïse accompagne Jean-Baptiste ; la tour de Babel, image de l’oubli de la grâce, contraste enfin avec l’ « escalier de perfection ».
R. GENAILLE renvoie dos à dos les interprétations précédentes, qu’il avait admises dans un premier temps (dans sa thèse de 1934). La composition centrale de la face externe s’explique d’abord selon lui par la destination du retable : orner le maître-autel dédié au Saint Sauveur et à la Bienheureuse Marie. Admettant à la suite de DEHAISNES que la croix constitue le motif central de toute la composition, il estime qu’elle est présentée aux fidèles comme le but, le « prix » auquel fait allusion l’inscription qui lui est associée. Les figures du Christ et de la Vierge incarneraient les deux modalités par lesquelles le chrétien peut mériter ce « prix » : la pureté et la foi en la miséricorde divine. Ces deux « voies » menant à la vie chrétienne, spécifiées par les inscriptions accompagnant le Christ et la Vierge, seraient aussi figurées dans chacun des deux panneaux latéraux : à gauche, les personnages sont placés sous le signe de la foi, à laquelle se rapportent la devise de Coguin, les détails ornementaux de son vêtement : trinité, anges portant les Arma Christi et les deux inscriptions. A droite, la communauté présentée par saint Benoît est placée sous le signe de la pureté et est associée à la Vierge, comme l’indiquent les thèmes mariaux ornant les agrafes et la crosse (Vierge à l’Enfant, Annonciation) et les inscriptions associées à saint Benoît et au prieur. Dans cette perspective interprétative, il juge, à la différence de DE LE RUE, que le thème de la course est ici secondaire. Quant à la composition intérieure, elle offrirait un exposé systématique des articles du Credo. Ceux-ci, au lieu d’être énoncés par les inscriptions des apôtres comme c’était la tradition, seraient figurés par les différents personnages : la Trinité se rapportant aux articles consacrés à Dieu et les personnages des panneaux latéraux, à ceux relatifs à l’Eglise. Ces derniers, placés selon un ordre rituel, immobiles sur un plan, ne participeraient donc pas à une adoration mais s’offriraient aussi à la vénération des fidèles. Pour traduire la première partie du Credo, Bellegambe est amené à modifier la représentation traditionnelle du Trône de Grâce, dont il efface en particulier l’expression pathétique. Ainsi, l’attitude hiératique du Père exprime la Toute Puissance divine, le Christ aux yeux ouverts domine sereinement le monde qu’il a rédimé. La majesté divine est encore soulignée par le trône monumental animé par les anges, allusion apocalyptique à la Jérusalem céleste. Le groupe trinitaire s’inscrit de plus dans l’intersection de deux triangles inversés formant une étoile à six branches et permettant une pénétration intime des figures au lieu d’une juxtaposition, référence selon GENAILLE au symbole d’Athanase qui insiste en effet sur l’égalité des trois personnes. Le peintre remplace le couple de la Vierge douloureuse et de saint Jean (solution adoptée par exemple par Jean Malouel) par une Vierge glorieuse accompagnée de Jean-Baptiste, comme dans le tribunal céleste du Jugement Dernier, manière de suggérer l’article relatif au Christ juge des vivants et des morts. Sur les panneaux latéraux apparaissent les représentants de l’Eglise catholique : les apôtres, parmi lesquels Pierre et Paul figurent en tant que patrons de Rome, puis André (premier appelé), Jean (le préféré), et d’autre part les martyrs : Etienne (premier martyr et premier diacre, gardien des Evangiles) et Catherine (symbole de la vie contemplative et fiancée du Christ). GENAILLE résume le sens du retable sous la forme d’une exhortation : « Venons à Dieu par la pureté (…), venons à lui surtout par la Foi, aidés par sa Miséricorde. Alors nous pourrons avec ferveur et en toute connaissance de cause réciter le Credo ».
J. FOUCART cherche à concilier ces interprétations en en montrant la complémentarité. Il voit dans le retable un exposé général de la doctrine chrétienne. La face externe accorde une place équilibrée aux œuvres et à la foi, dans le cadre d’une théologie de la grâce. L’appel du Christ (Allez à moi par la croix, c’est-à-dire portez ma croix et suivez-moi) est en effet contrebalancé par l’allusion à la grâce dans l’inscription tenue par les angelots, par l’ostension des plaies qui rappelle que le sacrifice christique est la plus grande grâce accordée aux hommes, et par la place accordée à la Vierge immaculée. La glorification de la chasteté est par ailleurs d’autant plus justifiée que le retable est destiné à un ordre monastique. Le retable ouvert présente « l’expression globale du dogme de la Trinité dans la splendeur du monde céleste ». Contrairement à GENAILLE, FOUCART note que les apôtres sont tournés vers la Trinité ou la désignent d’un geste, et que les martyrs sont agenouillés en orants devant elle. Il en conclut que tous ces personnages adorent la Trinité autant qu’ils la proposent à notre adoration. Par ailleurs, la présence de Jean-Baptiste, explicable dans un Confiteor ou un Jugement dernier, ne lui semble pas justifiée dans un Credo.
E. HALL et H. UHR contestent également la lecture de GENAILLE à partir du réexamen des inscriptions de la face externe et de leur relation au thème scolastique de l’aureola, auquel se rapporteraient les multiples couronnes, celles surmontant la croix, celle tenue par la Vierge et celles enfin portées par les anges aux fidèles. La citation de Paul, choisie selon eux parce qu’elle ferait écho à son propos sur la virginité (1 Corinthiens 7, 25), celle associée à la Vierge, comme les deux citations du Cantique des Cantiques associées à Coguin et au Prieur, fournissent le thème majeur de la composition : la virginité, comme voie menant à la sainteté. L’idéal de chasteté revêtant pour les moines une importance particulière, il explique la place privilégiée accordée ici à l’aureola de virginité. C’est celle-ci qui est portée par la Vierge et que les anges donnent aux fidèles à l’arrière-plan. Modèle de sainteté, la pureté de la Vierge est, pour reprendre les termes du verset du Cantique des Cantiques, un parfum d’onction à l’odeur duquel accourent l’abbé et son prieur. L’image de la « course », motif récurrent dans la règle de saint Benoît, trouve donc tout naturellement sa place dans un retable commandé par des Bénédictins. Les trois couronnes portées par les angelots au-dessus de la croix, prix récompensant les moines qui ont couru à Dieu, représentent la triple aureola des martyrs, des vierges et des confesseurs (ou docteurs). Ce thème est amplifié sur les panneaux encadrant la Trinité : la Vierge et Jean-Baptiste ont tous deux reçu la triple aureola ; les saints représentés sur les panneaux latéraux sont visiblement choisis parce qu’ils incarnent également cet idéal de victoire héroïque sur le mal : Etienne (dont le nom grec signifie « couronne ») est le premier à avoir reçu l’'aureola du martyre ; Catherine qui l’accompagne a reçu la triple aureola, comme vierge, docteur et martyre. Les apôtres Pierre, Paul, Jean et André sont pareillement ceux à qui la tradition accorde aussi la double ou la triple aureola. Le retable exhorte donc les moines à tendre vers la parfaite virginité et vers la récompense « accidentelle » de l’aureola. En triomphant de la chair, ils n’auront pas couru en vain puisque leur sera accordé la vision glorieuse de Dieu entouré de la communauté des saints victorieux, vision dont le retable ouvert aux jours de fête donne comme un avant-goût.
M. PELADE-OLIVIER revient sur la destination du polyptyque et ses fonctions. Du fait de l’érudition de son programme, il s’adresse avant tout aux religieux d’'Anchin, recrutés parmi des catégories sociales qui laissent supposer un niveau d’instruction supérieur. Ouvert sans doute à l’occasion des grandes fêtes, le retable offre la possibilité de deux visions successives et l’égalité presque totale dans le programme iconographique des deux positions renforce l’idée que sa conception procède d’un souci de dévoilement progressif. L’auteur attire aussi l’attention sur les divers niveaux de signification de l’Adoration de la Trinité : le groupe central exprime le dogme trinitaire, en soulignant la fonction d’intercession du Christ ressuscité et en illustrant par sa composition triangulaire la définition augustinienne du Filioque, tandis que l’inscription du Livre de Vie affirme l’union des trois personnes et leur coéternité. Mais à l’énoncé dogmatique s’ajoutent un message eucharistique (le tableau étant placé sur le maître-autel, l’offrande du corps christique par le Père renvoie au rituel eucharistique) et un message eschatologique (impliqué à la fois par l’Ostensio Vulnerum, la présence de la Déesis et les multiples allusions à l’Apocalypse dans le panneau de la Trinité).
R. VAN SCHOUTE et H. VEROUGSTRAETE montrent que le retable constituait « un véritable meuble à transformations » protégeant le reliquaire du XIIIe siècle. La description de DE BAR ne permet pas de se faire une idée précise de la structure de ce reliquaire qui pouvait avoir l’aspect d’une châsse, d’une tour ou d’un panneau avec reliefs. Mais son style devait ressembler à la Châsse de sainte Gertrude à Nivelles, réalisée vers 1272 par Jacquemon de Nivelles et Colars de Douai. Pour l’exposer aux yeux des fidèles, on ôtait le panneau central du retable, « couverte » du reliquaire, en écartant les parties latérales et en faisant glisser le panneau à l’aide de ses roulettes. Ce panneau était alors probablement rangé à l’arrière de la custode et son décor servait de fond d’or sur lequel se détachait le reliquaire. Du fait que les revers des parties latérales dormantes offrent une menuiserie soignée et présentent des traces de polychromie originale, il est probable, selon ces auteurs, que les fidèles pouvaient circuler autour du retable. Celui-ci avait finalement une triple fonction : masquer le reliquaire, affirmer la réalité du Credo, exalter la gloire de la Croix et la piété de la communauté bénédictine d’'Anchin.
L’'ensemble se compose de sept panneaux dont les planches sont assemblées à joints vifs et renforcées de clés traversées par des chevilles. Les panneaux sont embrevés dans leur cadre d'’origine rainuré et polychromé. Charnières et ferrures sont d’origine. Le polyptyque d’'Anchin est un retable à transformations qui offrait initialement aux fidèles trois visions successives, par la combinaison de ses sept panneaux peints et du reliquaire du XIIIe siècle, aujourd'hui perdu. Dans le retable fermé (CPF fig. X), deux panneaux fixes peints sur une seule face encadrent deux volets mobiles pivotant sur leurs charnières, peints sur leurs deux faces, et alors rabattus sur la partie centrale. On voyait alors le Christ et la Vierge, des deux volets centraux, encadrés à gauche par l'abbé Coguin

Mode d'acquisition : 
Date d'acquisition : 
1918
Ancienne(s) appartenance(s) : 
Destination d'origine, Abbaye d'Anchin, 16e siècle, Anchin, Ce retable est une commande de l’abbé Charles Coguin de Sainte-Radegonde pour la prestigieuse abbaye bénédictine d’Anchin, près de Douai. Le tableau, qui ornait le maître-autel de l’abbatiale, était destiné à masquer la custode de bois protégeant le reliquaire d’argent doré datant de l’abbé Guillaume Brunel (1250-1265). En 1726, après l’adoption de l’autel romain, le polyptyque est déposé à la trésorerie de l’abbaye, près de la chapelle Saint- Maurice. Confisqué à la Révolution, il est inventorié en 1792 par le peintre C. A. Caullet et déposé en mars de la même année dans l’ancienne église des Dominicains. Le 16 fructidor de l’an II (1794), il est transféré avec d’autres tableaux dans l’ancien collège des Jésuites de Douai. Après le concordat de 1801, Monsieur Lévesque, curé de Cuincy près de Douai, obtient de la commission du musée l’autorisation d’emporter la partie centrale du retable dont il n’a pas retrouvé les autres panneaux parmi les tableaux du dépôt, et la fait transporter dans l’église de sa paroisse en 1802-1803. Son successeur la cède, comme paiement des travaux effectués dans son église, à Monsieur Marlier peintre en bâtiment de Douai. Le panneau aurait alors servi de porte à son atelier. A sa mort, en 1832, son épouse le vend à E. A. Escallier, médecin du défunt et collectionneur qui nettoie le tableau, dévoilant ainsi le groupe de la Trinité. Entre-temps, le 1er Germinal de l’an XII (22 mars 1805), les autres panneaux du retable sont transportés du collège des Jésuites dans une « dépendance » du musée de Douai. Ils y demeurent jusqu’en décembre 1818, date à laquelle ils sont mis en vente avec d’autres tableaux qualifiés d’œuvres de rebut hors d’état d’être conservées. Les panneaux sont achetés par un amateur douaisien, M. Estabel, qui les fait restaurer à Paris puis les expose en 1822 dans l’atelier parisien de M. Quecq. Après 1832, Estabel les vend au docteur Escallier qui reconstitue le polyptyque. Par son testament du 15 février 1857, il lègue celui-ci à l’église Notre-Dame de Douai. Déposé jusqu’en 1914 dans la sacristie de l’église, il est exposé entre 1914 et 1918 dans le musée allemand de Valenciennes et entre au musée de la Chartreuse après 1918. ; Saisie, Saisies révolutionnaires ; Collection privée, ESTABEL Eugène, 19e siècle, Douai, Acheté par Estabel à la vente de 1818. ; Collection privée, ESCALLIER Docteur Charles-Enée, 19e siècle, Douai ; Emplacement provisoire, Eglise Notre-Dame, Douai

Inscriptions : 
inscription
Précisions sur les inscriptions : 
(latin), en bas, Sur le cartouche au pied du trône du Christ, Non est volentis, neq(ue) currentis / sed Dei miserentis . Ro. 9
(latin), en bas, sur le phylactère enroulé au montant de la croix, Sic currite ut comprehe(n)datis / .1. Cor. 9
(latin), en bas, Sur le cartouche posé aux pieds de la Vierge, Sine iniquitate /cucurri. psal 58
(latin), en bas, sur le phylactère enroulé à la tige du lys, Lilium conval(lium)
(latin), en bas, sur le phylactère de l’abbé Coguin, Trahe me post te / Ca(n)ti. 1°
(latin), au centre, sur le phylactère de Charlemagne, Cucurri cu(m) dilatasti cor meu(m) / Psal. 118.
(latin), le phylactère du prieur, (curre)m(us) in odore(m) ungue(n)toru(m) tuoru(m) / Ca(n)ti. 1
(latin), sur le phylactère de saint Benoît, Non in vanu(m) cururri ad Philip. 2°
(latin), Retable ouvert. Sur les pages du livre tenu par Dieu le Père, Ego sum / A. O. / pri(n)cipium et finis
(latin), s’élevant des lèvres des séraphins agenouillés au pied du trône de la Trinité (de gauche à droite), Sanctus S(an)ctus S(an)ctus / D(ominu)s Deus Exer(ci)t(um) / qu(i) (er)at et qui est / Et qui venturus est / gloria et honor / Sanctus S(an)ctus S(an)ctus

Mots-clés musée : 
Exposition(s) : 
Bibliographie : 
CAT. EXP., Le XVIe siècle européen, 1965
p. 28-31 (reproduite), N°40
BELL FLAMENT, 1990
repr.p.29, n°4.
EBERT-SCHIFFERER, 1993
p.82, repr. 36.
GRIMALDI-HIERHOLTZ, 1995
p.93.
NIKULIN et KOSOLAPOV, 1981
VAN SCHOUTE et VEROUGSTRAETE
pp.155-168.
PELADE-OLIVIER, 1999
p.117-127.
Le Collectionneur Français 2007
p24-26 (reproduit)
Northern European and Spanish Paintings, 2008
p.5, fig.4 (repr)
DENIZEAU, 2010
p. 46-47 (reproduit)
ALLENDER, 2010
p.19 (reproduit)

Date de dernière modification : 
28 novembre 2023 18:03 Europe centrale/Paris (ECT) +01:00
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