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Calais : vie culturelle d’un musée à l’écart du front.

Front Nord, Calais, Pas-de-Calais, le musée - Mars 1918
Service photographique et cinématographique des Armées, opérateur Dufour 
Tirage réalisé à partir d’un négatif sur plaque de verre.
 
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© Ministère de la culture, Médiathèque de l'architecture et du patrimoine, diffusion RMN-GP
Front Nord, Calais, Pas-de-Calais, le musée - Mars 1918 Service photographique et cinématographique des Armées, opérateur Dufour Tirage réalisé à partir d’un négatif sur plaque de verre.

Le Musée de Calais, tel que l’ont connu les Calaisiens durant la Première Guerre mondiale, n’existe plus de nos jours. Lui a succédé l’actuel Musée des Beaux-arts conçu par l’architecte Paul Pamart qui fut inauguré en 1966. S’il est depuis lors situé en face au parc Richelieu, il était, pour la période qui nous intéresse, installé dans les locaux de l’ancien Hôtel de Ville de Calais-Nord, Place d’Armes.

À l’écart du front, Calais conserve jusqu’en 1917 une relative tranquillité qui favorise l’épanouissement de sa vie culturelle. Celle-ci est rythmée par l’enrichissement régulier des collections municipales et l’organisation d’expositions dans le foyer du théâtre.

Base de débarquement des troupes alliées, Calais subit toutefois de graves bombardements à partir de septembre 1917. Grâce à la vigilance du conservateur Albert Guilmet et de l’adjoint aux Beaux-arts, Georges Hembert, les collections sortent indemnes du conflit.

  

A gauche : Musée de Calais aujourd'hui disparu avec son beffroi sur la Place d'Armes. Photographie de Paul Villy - Musée des beaux-arts de Calais
A droite : Musée de Calais et Tour du Guet, photographie de Paul Villy, éditée dans Paul Villy – Vues Photographiques de Calais entre 1898 et 1934, catalogue de l’exposition « Calais » tenue du 17 Avril au 27 Juin 1992. 

 Le début du conflit ne porte pas atteinte à la vie du musée. 

L’entrée en guerre de la France en août 1914 ne semble pas – dans un premier temps du moins – avoir perturbé la vie du musée de Calais car en janvier 1915 l’établissement continue à afficher les mêmes horaires et jours d’ouverture qu’avant la déclaration de guerre (les dimanches et les jeudis pendant l’hiver de 11 heures à 16 heures).

Indice de son attractivité, le nombre de visiteurs ne cesse de croitre durant toute l’année 1915 (pour la période du dernier trimestre, on constate une augmentation de 60% par rapport au dernier trimestre de 1914).

L’état des collections du musée nous est aujourd’hui connu grâce à différents travaux auxquels Albert Guilmet apporta son concours. Parmi les œuvres les plus notables du département beaux-arts, nous pouvons citer : La messe de Saint-Grégoire attribuée à Hans Memling ; La Présentation au Temple, peut-être du même maitre ; un tableau allégorique intitulé Leçon d’anatomie attribué à José de Ribera ; La Vierge au bandeau d’après Le Corrège ; Portrait du Gouverneur Emmanuel, duc de Croy et Le poète de Belloy par Nicolas-René Jollain ; Le Soir, marine de Louis Francia, Roméo et Juliette de François Chifflart, etc.

◄ Photographie du salon de 1865 où figure Roméo et Juliette de François Chifflart, le document provient de l’album de photographies des œuvres achetées par l'Etat intitulé : « Ministère de la maison de l'Empereur et des Beaux-Arts. Tableaux commandés ou acquis par le service des Beaux-Arts. Salon de 1865 ». (Consultable en ligne)

Le musée comporte également une importante section consacrée à l’histoire de Calais où figure la nacelle du premier ballon dirigeable qui traversa la Manche en 1785. Enluminée de sujets allégoriques, elle rappelle l’exploit de Jean-Pierre Blanchard et du Docteur Jeffries, pionniers de l’aéronautique.

  

A gauche : Vue intérieure du Musée. Dans une des salles du premier étage de l'intérieur du musée, au plafond, la nacelle du ballon de Jean-Pierre Blanchard, première traversée de la Manche en ballon, le 7 janvier 1785 par les airs du détroit du Pas de Calais. Photographie de la collection du Musée des Beaux-Arts de Calais.
A droite : Salle du premier étage du Musée, au plafond suspendue la nacelle qui servit à Blanchard, aéronaute, pour faire la traversée de Douvres à Guînes en 1785

 Les collections s'enrichissent 

Les collections du musée ne cessent de s’accroître pendant la guerre. En novembre 1915, un don important vient enrichir le département consacré à l’histoire de Calais. Il s’agit de deux photographies de Lettres Patentes signées par Thomas Cromwell en 1538, au moment de l’occupation de la ville par les Anglais. Remis par le duc de Somerset, ces documents entendent sceller l’alliance politique, civile et militaire entre deux pays autrefois ennemis et désormais alliés. 
La liste des achats et des dons faits aux musées au cours de l’année 1915 est publiée dans la presse le 28 mars 1916. Elle consacre particulièrement l’enrichissement de la section dévolue à histoire locale pour laquelle Guilmet a des projets de réaménagement.

  • Dons et Achats 1915
  • La Plaine Brochot en 1872. Le Phare sur son bastion. Peintures à l’huile, d’après A. Frère. (Achats.)
  • Médaille commémorative de la campagne de 1870-1871. (Don de la ville.)
  • Médaille de bronze commémorative de la construction du théâtre. (Don de M. Crettet).
  • Monnaies anciennes
  • Noble d’or d’Edouard III. 1327-1377. Roi d’Angleterre
  • ¼ Noble d’or d’Edouard III. 1327-1377. Roi d’Angleterre
  • Angelot d’or d'Henri VII. 1445-1509. Roi d’Angleterre
  • Angelot d’or d’Elisabeth, reine d’Angleterre, 1558-1602.
  • Ecu d’or du Dauphinais de François Ier, roi de France, 1515-1547.
  • Jeton commémoratif de la Paix du Cateau-Cambrésis, 1559.
  • Médailles commémoratives du certificat d’études, frappées par la caisse des Ecoles (Don de la ville)
  • Don de divers documents concernant Calais, par MM. A. Guilmet et Eugène Carpot.
  • Achat de trois aquarelles de Louis Francia, peintre calaisien : Vue intérieure de l’ancienne église Saint-Pierre en 1832 ; Vue de l’abbaye de Saint-Bertin, à Saint- Omer ; Vue du Quai des Tanneurs.
  • Escalier du rempart à l’extrémité de la rue de Thermes. Dessin par A. Frère. Don de M. E. Frère
  • Deux lettres patentes de 1538, signées de Thomas Cromwell, envoyées à M. le Maire par le duc de Somerset.
  • Drapeau de la Fédération des Combattants de 1870-1871. ― Groupe calaisien. ― Don de M. Boulard père.
  • Notons que les acquisitions Beaux-arts s’orientent également vers un artiste local, Louis Francia, avec l’achat de trois aquarelles : Vue intérieure de l’église Saint Pierre ; Vue de l’abbaye Saint Bertin, à Saint Omer ; Vue du Quai des Tanneurs.

Une politique d’expositions temporaires jusqu’en 1917

Au cours des années 1916 et 1917, les Calaisiens peuvent voir plusieurs expositions temporaires qui s’enchaînent à une cadence soutenue. Les salles du musée étant trop exigües pour les accueillir, elles se déroulent sous la houlette de Georges Hembert (3e adjoint délégué aux Beaux-arts), au foyer du théâtre municipal flambant neuf.

Destinées à animer la vie culturelle calaisienne, ces expositions sont aussi l’occasion pour la municipalité de faire des acquisitions, transformant ainsi le théâtre en antichambre du musée.

  

A gauche : M. Georges Hembert, 3ème adjoint au maire. Photographie tirée de L’ouvrage d’Albert Chatelle, lauréat de l’Académie Française, et Gaston Tison, archiviste de la ville de Calais, Calais pendant la Guerre (1914-1918), Librairie Aristide Quillet, 1927
A droite : Théâtre de Calais, carte postale, Avant 1930. La première pierre du théâtre de Calais a été posée le 9 juillet 1903 par Monsieur Loubet, Président de la République. Les travaux ont été dirigés par l'architecte Malgras. L’établissement, inauguré en 1905, accueille durant la Première guerre mondiale, plusieurs expositions.

En Janvier 1917, l’Exposition d’images de guerre ouverte à « tous les artistes français et alliés, civils ou militaires » est organisée au profit des œuvres de guerre. Elle regroupe 426 œuvres de 95 peintres et sculpteurs dont la majorité s’inspire du contexte et prône des valeurs patriotiques.

Le musée y fait les acquisitions suivantes : Officier de cavalerie belge et Les Réfugiés de Dunkerque à Calais pendant le bombardement d’Alexis de Broca, Les Russes en Champagne, eau forte d’André Warnod, et Un coin de chambrée, dessin aquarellé d’Albert Guilmet.

Cette exposition patriotique s’inscrit dans une programmation culturelle dense : elle succède à une manifestation consacrée au dessinateur de presse néerlandais Louis Raemaekers, bien connu pour ses caricatures germanophobes, et elle sera suivie d’une Exposition de Peinture, Sculpture, aquarelles, gravures, Décoration et Art appliqué aux travaux industriels et d’agrément organisée par la Commission de l’École d’Art décoratif et industriel de Calais dont Hembert et Guilmet font tous deux partie.

Septembre 1917 : le basculement 

Les bombardements de la ville ralentissent la vie culturelle et touchent le musée

Malgré l’intensification des bombardements depuis quelques mois, une exposition consacrée au peintre Eugène Chigot est inaugurée le jeudi 20 septembre 1917 en présence du maire Charles Morieux et sous la présidence d’honneur du Général Ditte, auquel Chigot consacre un long discours de remerciement où il fait étalage de son patriotisme. Reconnaissant envers la ville qui l’accueille, l’artiste fait don de l’une de ses toiles au musée : La tour du Guet.

La violence accrue des bombardements met prématurément fin à l’exposition le 1er octobre 1917. Depuis 3 jours, des avions allemands survolent la ville en concentrant leurs tirs sur Calais-Nord et les bassins. 73 victimes sont à déplorer.

Le musée n’est pas épargné par les attaques. Une torpille tombée sur la Place d’Armes (face au café Debette, situé au n°9) grêle toutes les façades alentours et souffle la totalité des vitres de l’ancien hôtel de ville. Disposant de caves sûres, l’établissement prend alors une nouvelle fonction : il devient l’un des abris officiels destinés à la population civile en cas d’alarme…

La cave sous le beffroi du Musée de la place d’Armes est utilisée comme cave-abri durant les bombardemets de 1917.

◄ Photographie tirée de l’ouvrage d’Albert Chatelle, lauréat de l’Académie Française, et Gaston Tison, archiviste de la ville de Calais, Calais pendant la Guerre (1914-1918), Librairie Aristide Quillet, 1927.

La prévoyance d’Hembert et Guilmet sauve la majeure partie des collections

Prévoyants, Georges Hembert et Albert Guilmet n’ont pas attendu les bombardements pour penser à la protection des collections municipales. Dès le mois de mai 1916, ils font expédier au Ministère des Beaux-Arts, cinq des principales œuvres du musée : Jeune Berger, par Gerrit Van Honthorst (ayant appartenu aux collections du Louvre) ; Un Vieux, par Jules Emmanuel Valadon ; un dessin au crayon de Honoré Daumier intitulé Marche de Silène ; Orphée aux Enfers (envoi de l’Etat), par Henri Regnault ; et Ebauche d’un combat, par Jacques Courtois dit « le Bourguignon ».
Petit à petit, toutes les toiles qui restent sont désencadrées et rangées au rez-de-chaussée du musée, dont les murs sont protégés par des sacs de terre accumulés devant la façade. L’importante collection numismatique (monnaies et médailles anciennes) est rangée, emballée et descendue dans les caves, ainsi que les pièces de porcelaine.

En février 1918, il ne reste plus qu’à mettre en lieu sûr les pièces d’ethnologie et la fameuse nacelle de Blanchard et Jeffries.

Grâce à ces mesures, les collections de Calais supportent sans dommage les bombardements de l’automne 1917 y compris celui du 27 septembre qui cause de sérieux dégâts à la façade du musée.

1918-1920

L’aide du service français de protection et d’évacuation des œuvres d’art et des monuments

Au début de l’année 1918, Georges Hembert contacte Fernand Sabatté, chef du service d'évacuation des œuvres d'art de la zone des armées pour le front du nord afin de l’informer des mesures de sauvegarde déjà prises et de lui demander des conseils pour les deux bustes de Richelieu et du duc de Guise, érigés sur le Parvis du musée. 
Le 15 mars 1918, après l’examen de Fernand Sabatté et de Pierre Paquet, architecte en chef des monuments historiques, les préparatifs de l’enlèvement des bustes commencent : descendus de leurs piédestaux, ils sont ensuite mis à l’abri dans les sous-sols du nouvel hôtel de ville, derrière un empilement de sacs de terre.
1920 : le musée au sortir de la guerre

Grâce à la vigilance de Georges Hembert et Albert Guilmet, les collections calaisiennes restent à l’abri jusqu’à la fin de la guerre. Une fois le conflit terminé, elles rejoignent les locaux de l’ancien hôtel de ville remis à neuf où la scénographie repensée et aérée permet de les valoriser. C’est avec une certaine fierté que la presse locale annonce la réouverture du musée en mai 1920 comme une « véritable renaissance ».

Le 31 août 1920, André Honorat, ministre des Beaux-arts, couronne l’engagement de la municipalité calaisienne par l’attribution au musée d’un tableau de Jeanne Thil : Vaqueros de granaderia à Cordoue. L’artiste d’origine calaisienne sera par la suite invitée à décorer la salle du conseil du nouvel hôtel de ville avec un monumental Dévouement des bourgeois de Calais.

La position géographique de Calais qui tient la ville relativement à l’abri des attaques allemandes ainsi que la vigilance de la municipalité permettent aux collections calaisiennes de sortir indemnes du premier conflit mondial. Leur sort sera malheureusement funeste à l’issue de la Seconde Guerre mondiale qui rase 73 % de la ville. En mai 1940, lors d’une attaque allemande, le musée est ravagé par un terrible incendie qui détruit la quasi-totalité des collections, réduisant en poussière plus de trois cent peintures parmi lesquelles des œuvres attribuées à Poussin, Van Dyck et Lebrun…

Travail de recherche et rédaction : Edith Marcq (revu et résumé par Alexandre Holin)

BIBLIOGRAPHIE

- CHATELLE Albert, lauréat de l’Académie Française, et TISON, archiviste de la ville de Calais : Calais pendant la Guerre (1914-1918) [avec 435 photographies ou dessins, 5 cartes et 9 hors-texte en couleurs], Librairie Aristide Quillet, 278 Boulevard Saint-Germain, Paris, 1927, 286 pages. Ouvrage publié sous les auspices de la Ville de Calais, de la Chambre de Commerce de Calais et de la Société Historique du Calaisis [Préface de M. Aristide Briand, ancien Président du Conseil, Ministre des Affaires Etrangères]. - Général DITTE : Calais (1914-1918), Paris, Imprimerie-lib. Militaire Universelle L. Fournier, 264 Boulevard Saint-Germain, 1924, 214 pages.

- REROLLE Michel, Conservateur du Musée : Le Musée de Calais, Guide du visiteur – fascicule 1: l’histoire locale, Musée Municipal – Calais, 1970, 52 pages.

- Paul Villy – Vues photographiques de Calais entre 1898 et 1934, catalogue de l’exposition tenue à Calais au Musée des Beaux-Arts et à la Maison pour Tous du 17 Avril au 27 Juin 1992, Imprimerie Sensey, 1992, 141 pages.

- Bulletin de la Commission départementale des monuments historiques du Pas-de-Calais (périodique annuel), Tome IVe – Ire Livraison, éditeur : Commission départementale des monuments historiques du Pas-de-Calais (Arras), Arras, Imprimerie de la Société du Pas-de-Calais - J. Eloy, directeur, 1913, 122 pages.
- Bulletin de la Commission départementale des monuments historiques du Pas-de-Calais, Tome IVe – 2e Livraison, Arras, Imprimerie de la Société du Pas-de-Calais - J. Eloy, directeur, 1914-1916, pp. 123-208.
- Bulletin de la Commission départementale des monuments historiques du Pas-de-Calais, Tome IVe – 3e Livraison, Calais, Imprimerie des Orphelins, 70 Quai de l’Est, 1918, pp. 209-324.

- Archives Départementales du Pas-de-Calais : PG 8 : Le Petit Calaisie; PG 7 : Le Phare de Calais & du Pas-de-Calais

 

Edith Marcq pour l'ACMNPDC

Eustache de Saint-Pierre
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