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De Valenciennes vers Bruxelles, l’odyssée des collections du Nord de la France

Jean-Baptiste Carpeaux, La Sainte Alliance des peuples, 1848, plâtre, h. 99, l. 360, p. 20, Valenciennes, Musée des Beaux-arts
 
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Jean-Baptiste Carpeaux, La Sainte Alliance des peuples, 1848, plâtre, h. 99, l. 360, p. 20, Valenciennes, Musée des Beaux-arts

Au début du mois de septembre 1918, alors que le catalogue qui devait accompagner l’exposition Geborgene Kunstwerke aus dem besetzten Nordfrankreich (« Œuvres-d’art protégées provenant du Nord de la France occupée ») n’est pas encore publié, l’avancée des troupes alliées s’annonce : la reprise du contrôle de Valenciennes par les Français semble imminente. Dans la précipitation, les Allemands décident de décrocher les œuvres des cimaises et d’en convoyer la majeure partie, par bateau, vers Bruxelles. Mesure de protection ou tentative de constituer un butin, ce déménagement entrepris à la hâte entraîne les œuvres dans une incroyable odyssée...

La Sainte-Alliance des peuples est l’une de première commande qu’honore le jeune Jean-Baptiste Carpeaux en 1848 pour la maison de son ami Jean-Baptiste Foucart. L’artiste se serait inspiré d’une chanson de Béranger où l’on trouve le vers suivant : « J'ai vu la Paix descendre sur la terre, semant de l'or, des fleurs, des épis [...] ». Le choix de cette œuvre pour orner le frontispice du catalogue de l’exposition Geborgene Kunstwerke aus dem besetzten Nordfrankreich peut laisser songeur alors que le contexte est des plus chaotiques.

 Été 1918          

L’exposition Geborgene Kunstwerke aus dem besetzten Nordfrankreich vient d’ouvrir ses portes au musée des Beaux-arts de Valenciennes mais une telle entreprise apparaît rapidement absurde aux yeux des Allemands, alors que les Alliés préparent leur contre-offensive sur la ville. Hermann Burg en souligne le caractère presque surréaliste :

 

« Ainsi, jusqu’à la dernière minute, on pouvait assister à l’étrange spectacle qu’offraient les visiteurs en feldgrau, lesquels, sous le grondement des canons faisant vibrer les verrières et trembler les tableaux aux murs, feuilletaient avec recueillement le catalogue et se faisaient expliquer le charme des beautés exposées ».
Hermann BurgKunstschutz an der Westfront. Kritische Betrachtungen und Erinnerungen, Charlottenburg (Berlin), Deutsche Verlagsgesellschaft für Politik und Geschichte, 1920, p. 45.


Photographies allemandes de l’exposition Geborgene Kunstwerke aus dem besetzten Nordfrankreich.
©Musée des Beaux-arts de Valenciennes.

Le musée transformé en dépôt central des collections de la zone occupée risque d’être touché par les bombardements aériens. La question d’un transfert se pose.

 Août 1918 (première quinzaine) 

Hermann Degering, bibliothécaire au département des manuscrits à la Staatsbibliothek de Berlin, préconise un transfert en Allemagne pour que :

 

« […] tout ce travail de sauvetage, déployé par les Allemands depuis trois, quatre ans avec beaucoup de difficultés ne soit réduit au néant en une seconde par des actes de colère et de désespoir commis par les Français et les Anglais ».
Hermann Degering, rapport du ministre de l’Instruction publique de Prusse au ministère des affaires étrangères, le 3 août 1918, Bundesarchiv (Archives fédérales), Berlin, R85, n°6396.

 

Avec cette proposition, Hermann Degering sait qu’il va à l’encontre de l’avis du ministère des Affaires étrangères qui, dans le respect de la Convention de la Haye, souhaite que les œuvres restent sur place, entreposées dans les sous-sols. La diplomatie allemande veut, en effet, éviter de faire croire que l’armée prend la fuite en emmenant les œuvres avec elle.

Août 1918 (deuxième quinzaine) 

Coup de théâtre le 31 août. Les autorités militaires informent :

 

« Le chef du QG a […] renoncé à un transport en Allemagne et il a mis en route le dépôt des trésors artistiques au Palais de Justice à Bruxelles ».
Télégramme n° 1996 de Berckheim aux Affaires étrangères à Berlin, daté du 30 août (reçu le 31) 1918.

 

Bruxelles semble être un bon compromis. La ville présente le double avantage d’être en zone neutre et en dehors des frontières allemandes.
Cette décision s’inscrit à la fois contre les préconisations de la diplomatie qui souhaite laisser les œuvres sur place et contre le Kaiser qui veut un transfert en Allemagne.

Fin septembre 1918          

Les travaux d’emballage commencent dans la hâte après l’ordre du quartier général allemand de transporter les œuvres à Bruxelles, par voie d’eau, « dans le seul objectif de la protection et de la mise en sécurité » (télégramme du Legationsrat Lersner aux Affaires étrangères du 5 octobre 1918.)

Pour les Valenciennois, la décision est humiliante mais c’est le prix à payer s’ils veulent retrouver leurs collections intactes en cas de victoire des Alliés.

 Octobre 1918                   

Trois péniches remplies de plusieurs milliers d’œuvres quittent Valenciennes par l’Escaut en direction de Bruxelles sous escorte de soldats allemands et de civils français dont Maurice Hénault, archiviste du musée des Beaux-arts de Valenciennes. Deux d’entre elles arrivent à bon port en quelques jours. La troisième se perd sur les canaux et accoste, en compagnie d’un convoi similaire provenant de Douai, à quelques kilomètres au Nord de Bruxelles, à Kapelle-op-den-Bos, le 9 novembre, jour de l’abdication de Guillaume II.

 


Inventaire des œuvres de Lille, Douai, Cambrai au Musée Moderne de Bruxelles, 1918.
© Institut Royal du Patrimoine Artistique, Bruxelles.

12 novembre 1918            

La guerre est terminée. Les Allemands vaincus décident de remettre aux autorités belges la responsabilité de la cargaison des bateaux retardataires. Dans un rapport daté du 16 décembre, Theodor Demmler écrit :

 

« Au moment de notre départ, une partie des objets se trouvait déposée au Musée Moderne, ainsi qu’au Palais de Justice ; une autre partie était encore dans les bateaux. La livraison a été faite aux autorités du Musée belge, ainsi qu’à la Commission Royale des Monuments : la partie qui n’était pas encore déchargée a été confiée aux soins de la Ville de Bruxelles, ainsi qu’à l’ambassade de Hollande ».
Theodor Demmler, Rapport sur les dépôts pour œuvres d’art qui ont été créés par les autorités allemandes, pour les objets provenant du territoire français, cité par Christina Kott, Préserver l’art de l’ennemi ? (...), particulièrement p. 388
.

 1919                              

Les œuvres regroupées à Bruxelles prennent le chemin de leur musée d’origine, après parfois plusieurs années d’absence. Certains musées détruits doivent être remis à neuf pour accueillir dignement les collections. Le musée de Valenciennes touché par les bombes rouvrira en 1920. La Sainte-Alliance des peuples, rêvée par Carpeaux, ne reste malheureusement qu’une illusion et la paix, une chimère. Au début de la Seconde Guerre mondiale, les œuvres sont de nouveau évacuées mais cette fois par les autorités françaises vers plusieurs châteaux de l’ouest et du centre de la France.

Texte : Alexandre Holin - Relecture : Célia Fleury, Anne Labourdette, Christina Kott

Nous remercions l’équipe du musée de Valenciennes pour son dévouement et ses conseils, particulièrement Emmanuelle Delapierre, son ancienne directrice, Virginie Frelin, attachée de conservation, Marc Goutierre, régisseur et Cyril Dermineur, son ancien chargé de récolement.

Bibliographie non exhaustive :

Catalogue d’exposition Geborgene Kunswerke aus dem besetzten Nordfrankreich ausgestellt im Museum zu Valenciennes, avec la collaboration de Thedor Demmler, Adolf Feulner, Hermann Burg, Munich, Bruckmann, 1918

Marc Goutierre, « Une page de l’histoire du musée, la Grande Guerre », Valentiana, n°35, juin 2005.

Christina Kott, Préserver l’art de l’ennemi ? Le patrimoine artistique en Belgique et en France occupées, 1914-1918, P.I.E. Peter Lang, Comparatisme et société n°4, Bruxelles, 2006.

Emmanuelle Delapierre, « Le musée des Beaux-arts de Valenciennes. Naissance et résurgences », Guide des collections du musée des Beaux-arts de Valenciennes, 2012.

Catalogue de l’exposition Sauve qui veut. Des archéologues et musées mobilisés, 1914-1918, Forum antique de Bavay et Musée de la Chartreuse de Douai, 2014.

 

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