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Les musées du Nord pendant la guerre

Front Nord, Calais, Pas-de-Calais, le musée - Mars 1918 (détail)
Service photographique et cinématographique des Armées, opérateur Dufour. Tirage réalisé à partir d’un négatif sur plaque de verre
 
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© DUFOUR ; © Ministère de la culture, Médiathèque de l'architecture et du patrimoine, diffusion RMN-GP
Front Nord, Calais, Pas-de-Calais, le musée - Mars 1918 (détail) Service photographique et cinématographique des Armées, opérateur Dufour. Tirage réalisé à partir d’un négatif sur plaque de verre

Les musées du Nord de la France, au premier rang desquels se trouve le Palais des Beaux-Arts de Lille, comptent en 1914 parmi les plus importants sur le plan national hors Paris et ses environs. Pourtant, au moment où le pays s’apprête à entrer en guerre, aucune protection spécifique de leurs bâtiments ou de leurs collections n’a été envisagée malgré leur proximité avec la frontière belge. La Première Guerre mondiale fait donc irruption dans leur quotidien en en bouleversant soudainement le rythme.

28 juin 1914 : l’archiduc François-Ferdinand de Habsbourg est assassiné à Sarajevo. Si un conflit éclate, les musées ne seront en théorie pas directement menacés, car les (futurs) belligérants se sont engagés en 1907 à respecter les articles de la Convention de La Haye et ses annexes. Les événements ne vont pas tarder à démentir cette vision optimiste.

19 août 1914 : devant la menace représentée par l’avance allemande en Belgique et les destructions qui en ont résulté, l’administration française des Beaux-Arts incite les villes situées le long des frontières du Nord-Est du pays à prendre des mesures énergiques pour protéger le patrimoine qui leur appartient. Dans le Nord, c’est surtout le musée de Lille qui fait l’objet de l’attention la plus marquée. Là, comme dans d’autres villes de la région, ces recommandations ne sont pourtant que peu appliquées, en raison des réticences municipales à confier à l’État la protection d’un service communal. D’autres facteurs ont également pesé : la mobilisation, le manque de moyens humains et financiers pour évacuer ce qui peut encore l’être, le souci de maintenir le moral de la population.

Carte représentant les musées du Nord pendant la Guerre

  L’effort de guerre                     

Rapidement fermés au public, certains musées sont alors réquisitionnés pour différents usages : leurs vastes espaces les rendent aptes le cas échéant à accueillir des hôpitaux ou dispensaires (Douai), puis des salles de cours (Douai) voire des boucheries (Valenciennes)...

>Des musées difficiles à signaler

Front Nord, Calais, Pas-de-Calais, le musée - Mars 1918
Service photographique et cinématographique des Armées, opérateur Dufour
Tirage réalisé à partir d’un négatif sur plaque de verre
"Ministère de la culture et de la communication, Médiathèque de l'architecture et du patrimoine, dist. RMN-GP"

Il était prévu, dans l’article 27 de l’annexe à la Convention concernant les lois et les coutumes de la guerre sur terre conclue à La Haye le 18 octobre 1907, que les établissements affectés au culte, aux arts et aux sciences soient signalés en tant que tels depuis l’extérieur. Il s’agissait d’éviter qu’ils ne soient pris pour cible par des tirs d’artillerie. La convention ne précisait pourtant en rien comment ce signalement devait apparaître : de ce fait, en dehors des drapeaux alors utilisés pour signaler un endroit devant échapper aux combats (drapeau blanc, drapeau de la Croix-Rouge), cette préconisation s’avère dès les débuts de la guerre très difficile à mettre en œuvre. Sur cette photographie, le musée de la ville de Calais ne porte aucune distinction visible, outre l’inscription « Musée » sur sa façade, illisible cependant à distance. Et l’on voit bien à quel point son insertion dans un tissu urbain dense le soumet à la menace de subir des dommages collatéraux. Sa façade finit cependant par être protégée, comme on le voit ici, en mars 1918.

> Des musées menacés

Dès la fin août 1914, il apparaît désormais que le conflit ne contournera pas les musées : les progrès de l’armement et l’impossibilité de faire respecter les articles de la Convention de La Haye entraînent des destructions partielles (Lille en octobre 1914) ou totales (Maubeuge, les 3 et 4 septembre 1914). Les musées restent d’ailleurs menacés tout au long du conflit par des tirs d’artillerie, des bombardements aériens et les incendies qui peuvent s’ensuivre, notamment les établissements situés à proximité de la zone des opérations militaires (Amiens, Bailleul, Boulogne, Calais, Cambrai, Douai, Lille…). Certains disparaissent pour cette raison : à Arras en juillet 1915, Bapaume, Péronne en juillet 1916 et Saint-Quentin en 1917.

Tout au long de la guerre, ils restent ainsi des institutions à l’avenir menacé, tant par les armes que par les hommes, car ils sont toujours soumis à des risques d’endommagement de leurs collections, de vols, de pillages ou de saisies.

Musée d'Arras en 1918
Service photographique et cinématographique des Armées, opérateur Dufour© Médiathèque municipale d’Arras, D 943.

Cette photographie du Palais Saint-Vaast d’Arras date du 6 mars 1918. La ville d'Arras a subi plusieurs années de bombardements incessants. Les collections du musée se trouvaient jusqu’en 1915 dans le bâtiment.

© droits réservés, coll. privée.

Cette carte postale représente les bâtiments de la mairie (16e siècle) et du musée Alfred Danicourt de Péronne détruits lors du bombardement du 1er juillet 1916, portant l’inscription « Nicht ärgern, nur wundern! » (« ne pas s’énerver, seulement s’étonner ! »), empruntée à Goethe. 

 Les premières mesures d’urgence     

Carte postale de propagande : S. A. le Kronprinz, prince de la cambriole.
Illustrateur : Maurice Radiguet, éditeur : Librairie de l'Estampe, Paris, 1914
Collection Pierre Brouland

Bien des conservateurs sont restés en poste, soit du fait de leur âge qui ne les rend pas mobilisables, soit en raison de leur état de santé. Leur peur commune, outre leur sécurité et celle de leurs familles, concerne le pillage potentiel des collections par l’armée allemande.
Aussi entreprennent-ils des mesures de sauvegarde aidés du personnel resté sur place, en protégeant les œuvres d’art dont ils ont la responsabilité avec les moyens de fortune dont ils disposent. La plupart du temps, ils prennent la décision de les abriter dans les sous-sols de leurs établissements, considérés comme plus sûrs, ce qui permet aussi d’éviter leur destruction du fait des bombardements.

Émile Théodore,
Les réserves où ont été placées en urgence les collections de céramique du
Palais des Beaux-Arts de Lille en octobre 1914, alors que les obus pleuvent sur la ville.
Ces dernières se trouvent dans un abri aménagé dans les sous-sols du Palais des Beaux-Arts.
© Daniel Lefebvre / Lille, PBA.

Ainsi les œuvres considérées comme les plus précieuses sont-elles dans bien des endroits dérobées à la vue de l’envahisseur dès la fin août 1914, du fait d’emmurements (la Tête de cire du Palais des Beaux-Arts de Lille) ou parfois d’enfouissements dans les sols. Mais cela ne va pas sans risque : Benjamin Rivière, conservateur de la bibliothèque de Douai, pense sauver un riche Psautier du XIVe siècle, Psalterium cum precibus, calendario et cyclo Paschali, en le plaçant en septembre 1914 dans un coffret de zinc, lui-même protégé dans une caisse en bois. Il enfouit le tout dans le sol de la cour du musée de Douai - qui est aussi celle de la bibliothèque. Quatre ans plus tard, le manuscrit est déterré dans un état lamentable, entièrement pourri par l’humidité… 


Une des pages du Psalterium cum precibus, calendario et cyclo Paschali,
manuscrit enluminé et relié en vélin blanc, 14e siècle,
sorti en cet état de sa cachette en 1918.
Douai, Bibliothèque Marceline Desbordes-Valmore, ms.171
© Daniel Lefebvre

Par la suite, la sauvegarde du patrimoine va progressivement être prise en charge par des services créés à cet effet, même si des initiatives individuelles sont entreprises : le Kunstschutz côté allemand, le Service de Protection et d’Évacuation des Œuvres d’art et des Monuments côté français. Dès lors, la même question va se poser à eux : protéger les collections des musées sur place ou les évacuer ailleurs ?

 Le quotidien des musées       

La guerre rend désormais le quotidien des musées difficile. Certains d’entre eux, épargnés par les combats, rouvrent au public dès que la ligne de front se stabilise, à la fin de l’année 1914. Ils tentent de continuer leurs activités d’avant-guerre dans un contexte de pénurie.

> Les soldats, principaux visiteurs des musées

Les musées qui sont situés dans des villes abritant des garnisons britanniques telles Saint-Omer, Calais ou Bailleul reçoivent principalement la visite des soldats de l'empire britannique, qu’ils ont pour mission de distraire des épreuves qui les attendent au front. Les musées situés dans la zone contrôlée par l’armée allemande font l’objet d’une attention particulière de la part de l’occupant : il s’agit pour l’Allemagne d’en faire des lieux de distractions et de culture pour ses troupes en envoyant les officiers et les soldats les fréquenter, tout en projetant secrètement de se servir de leurs collections au moment des négociations d’armistice…

> Les musées du Nord, lieux de dépôts pour des collections itinérantes


Maurice Bauchond ?
Photographie des caisses d’œuvres d’art, appartenant à des collectionneurs privés,
en provenance de Laon dans les réserves du musée de Valenciennes, en 1917-1918.
© Daniel Lefebvre / Valenciennes, MBA, fonds Bauchond.

Dès le début de la guerre, certains d’entre eux accueillent des collections privées en dépôt, qui y sont placées volontairement par leurs propriétaires. Ces derniers souhaitent ainsi mettre à l’abri leur propriété en ces temps si difficiles. Ces dépôts sont d’ailleurs à l’origine de tensions avec l’occupant, notamment lorsque les Allemands veulent en réquisitionner les objets en métal, en 1917, pour leur effort de guerre.

Du fait de la stratégie militaire allemande consistant à se replier sur une ligne de front plus réduite (Ligne Hindenburg) au début de l’année 1917, certains musées vont devenir des lieux de dépôts très importants d’œuvres d’art : Valenciennes et le magasin-musée AU PAUVRE DIABLE de Maubeuge dans la zone allemande, sous la supervision du Kunstschutz. Dans la zone contrôlée par les armées alliées, c’est surtout en 1918 que les collections de Dunkerque, Boulogne-sur-Mer, Bailleul et Bergues vont être évacuées vers d’autres lieux propices à une meilleure conservation.

> Les musées, lieux d’études


Photographie présentant Hermann Burg en train d’étudier
un tableau du musée Jeanne d’Aboville de La Fère,
Intérieur d’église aux Moines par Emanuel de Witte,
évacué au musée de Valenciennes en 1917.
© BDIC/MHC

Certains musées abritent également des activités d’études scientifiques, tel le musée de Douai, où Christian Rauch rédige un guide culturel du patrimoine de la ville et où il tient des conférences d’histoire de l’art. Le musée de Valenciennes, où des milliers d’œuvres d’art affluent de toute la région à partir de 1917, devient ainsi le centre d’une réelle activité scientifique en temps de guerre : exposition, catalogue, recherches sur les œuvres.

> Des lieux d’expositions

De part et d’autre de la ligne de front, certains musées participent à leur manière à l’effort de guerre, instrumentalisés dans le cadre de la « guerre des cultures » que se livrent les belligérants : côté allemand, les expositions temporaires de Maubeuge et Valenciennes sont peut-être une réponse à l’Exposition d’œuvres d’Art mutilées du musée du Petit Palais à Paris (1916-1917), tandis que côté britannique, les expositions organisées à Calais visent à renforcer le sentiment de fraternité entre les peuples français, anglais et belges.

> Des lieux d’acquisitions

Dans le contexte difficile de la guerre, certains musées continuent à acquérir des œuvres : à Bailleul, Boulogne-sur-Mer, Calais, Douai ou encore Saint-Omer, des privés donnent leurs collections aux musées. Est-ce justement en raison de la difficulté de la période que de tels dons sont consentis, les musées étant jugés à terme plus sûrs pour la conservation des œuvres ? Ou ne s’agit-il que de la poursuite d’une pratique largement répandue avant-guerre ?

Ainsi à Saint-Omer, les héritiers de Gustave Garvey décident-ils de donner au musée de l’hôtel Sandelin une partie de la collection de ce dernier : trente-neuf objets, parmi lesquels des céramiques romaines ou mérovingiennes, sont enregistrés en avril 1915. L’année suivante, malgré la grande offensive lancée sur la Somme par les Britanniques, c’est une autre partie de la collection Garvey qui rejoint le musée, dont une très jolie assiette aux oiseaux. Enfin, en avril 1917, les mêmes héritiers donnent vingt-et-un objets, puis au mois de septembre suivant, onze nouvelles faïences et pièces antiques.

À Douai, la consultation des registres d’inventaire permet de se rendre compte que quelques dons sont opérés à partir du mois d’août 1917 jusqu’en 1918 – au moment où, déjà, des œuvres partent du musée pour Valenciennes. Dont une des rares peintures dues à un artiste allemand encore conservée au musée, un tableau d’Hans Schennis, La Source.

 
Extrait du registre d’inventaire du musée de Douai pour les années 1917-1918.

C’est cependant le musée de Boulogne-sur-Mer qui voit sa collection s’enrichir incontestablement avec le legs de plus d’un millier de pièces opéré par Charles Lebeau (1842-1916), décédé le 17 septembre 1916.

Extraits du Guide illustré de la collection Charles LEBEAU (1926),
collection léguée au musée de Boulogne-sur-Mer en septembre 1916.

Le Conseil Municipal reçoit le legs avec enthousiasme et protège les œuvres en les mettant à l’abri à la Bibliothèque municipale, non au musée. Choix avisé, car ce dernier est touché par un bombardement deux ans plus tard. Des chefs-d’œuvre intègrent ainsi les collections boulonnaises : des eaux fortes de Rembrandt, des dessins de Watteau, Ingres, des tableaux de Corot, des sculptures de Clodion, de Barye, Carpeaux, Rodin, des faïences de Rouen, Lille, Strasbourg…

À la fin du conflit, le paysage muséal nordiste est profondément bouleversé par les destructions, les évacuations et les tensions humaines vécues pendant plus de quatre années. Les collections n’ont probablement jamais autant connu de conditionnements et de déplacements successifs durant une période aussi courte. De ce fait, la première guerre mondiale est une période clé pour comprendre l’évolution ultérieure du monde muséal : elle représente l’occasion de s’interroger activement sur l’environnement adéquat pour la conservation des œuvres, notamment lors de leurs déplacements, elle montre comment l’action des conservateurs peut être déterminante pour guider la politique des établissements muséaux, elle représente également l’occasion de se pencher sur de nouveaux types de présentations d’œuvres au public. Enfin, elle permet à l’État français de prendre conscience de la nécessité d’une politique plus centralisée de protection des collections nationales en cas de guerre. Fort de cette expérience, le Ministère de l’Instruction Publique et des Beaux-Arts s’interrogera en effet, dès le début des années 1930, sur la préparation des musées français au prochain conflit qui, déjà, s’annonce…

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Texte : Anne Labourdette

Ainsi que : Daniel Bonifacio, Christina Kott et Gaëlle Pichon-Meunier

Relecture : Anne-Sophie Berger, Célia Fleury, Alexandre Holin, Christina Kott et Édith Marcq

Remerciements

Ce texte fait largement appel aux travaux de Christina Kott sur le Kunstschutz pendant la Première Guerre mondiale, aux publications de Gaëlle Pichon-Meunier sur le Service de protection et d’évacuation des œuvres et des monuments pendant la même période et aux travaux d’Édith Marcq sur le musée de Calais au 20e siècle. Nous les remercions vivement pour leur aide.

Bibliographie non exhaustive

Catalogue de l’exposition, Sauve qui veut. Des archéologues et musées mobilisés, 1914-1918, Forum antique de Bavay et Musée de la Chartreuse de Douai, 2014.

In Situ, Revue des Patrimoines, Le Patrimoine dans la Grande Guerre, 23 / 2014, en ligne.

In Situ, Revue des Patrimoines, Le Patrimoine de la Grande Guerre, 25 / 2014, en ligne.

Christina Kott, Préserver l’art de l’ennemi ? Le patrimoine artistique en Belgique et en France occupées, 1914-1918, P.I.E. Peter Lang, Comparatisme et société n°4, Bruxelles, 2006.

Philippe Nivet (dir.), Guerre et patrimoine artistique à l’époque contemporaine, encrage, 2013.

Gaëlle Pichon-Meunier, « Le service de protection et d’évacuation des œuvres d’art pendant la première guerre mondiale : l’apport des archives de la Médiathèque de l’architecture et du patrimoine », in : Guerres, œuvres d’art et patrimoine artistique à l’époque contemporaine, actes du colloque d’Amiens des 16-18 mars 2011, Amiens, Encrage, 2013.

David de Sousa, « L’incroyable destin des collections du musée Alfred-Danicourt de Péronne », In Situ [En ligne], 25 | 2014, mis en ligne le 05 décembre 2014.

Base de données

Base Mémoire : Archives photographiques de la médiathéque de l'Architecture et du patrimoine.

L'Argonnaute : Collections numérisées de la Bibliothèque de documentation internationale contemporaine

 

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