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Dordives (45)

Musée du Verre et de ses métiers

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Les bousillés

Vase, entre 1950 et 1960, Coll.MDV, Inv.003.5.16
Vase, entre 1950 et 1960, Coll.MDV, Inv.003.5.16

Le bousillage, à travers les récits de verriers.

Le Musée du verre et de ses métiers de Dordives recueille depuis 2004, les témoignages des salariés des verreries de la vallée du Loing. Les premières campagnes d’archives orales se sont portées sur les verreries de Bagneaux-sur-Loing. Les verriers interrogés lors des entretiens s’expriment sur cette pratique, telle qu’ils l’ont connue entre les années 1950 et 1980 . Mais aussi, telle que leurs parents l’ont vécue durant la Seconde Guerre mondiale. De fait, ces témoignages permettent de brosser un portrait du bousillage, au XXe siècle, à Bagneaux.

Tout d’abord, à quelle date débute la pratique du bousillage à Bagneaux-sur-Loing ? Avant la fin du XIXe siècle, aucune source fiable n’atteste de cette pratique. Est-ce à dire qu’elle n’existait pas avant cette date ? Probablement pas. Simplement, pour cette période, les sources sont rares.
Les premières traces du bousillage remonteraient donc à la fin du XIXe siècle. Les récits font part de cannes de conscrits en verre soufflé, ainsi que de presse-papiers offerts en cadeau de mariage. Les bousillés sont alors fabriqués à partir de verre au plomb de couleur.
A partir des années 1920-1930, la pratique du bousillage est largement attestée. Dans les mémoires, cette période reste celle de l’arrivée du verre Pyrex. Plus difficile à travailler, le façonnage de ce nouveau verre demande de l’entraînement. Le temps consacré à la « bousille » est propice à cet apprentissage et à la transmission du savoir-faire. De cette époque, datent les toutes premières images filmées de « l’art du bousillage ». Dans son film 1600°C, tourné à Bagneaux-sur-Loing, en 1936, le réalisateur G. Gile-Nicaud filme le verrier qui, pendant sa pause, s’exerce à la création d’un bestiaire .

Le bousillage se définit comme la réalisation, dans l’enceinte de la verrerie, mais en dehors du temps de travail, d’une pièce en verre différente de celles proposées au catalogue.
Aux verreries de Bagneaux-sur-Loing, les récits de verriers convergent : « Le bousillage ce n’était pas de la production ». La production était à caractère scientifique et technique, le bousillage lui prend la forme d’objets utilitaires ou décoratifs : coupes à fruits, vases, statuettes, cendriers, paniers, trophées et animaux. Toutefois, les verriers précisent que le bousillage peut également être réalisé à partir « d’objets de la production défectueux, détournés ». Un pot à eau mis au rebut est embelli d’une anse en verre cannelé, un bouchon de fiole devient ornement de cendrier, un manchon industriel est transformé en coupe à sangria, un cube de verre optique est taillé pour devenir presse-papier. Le mot « bousillage » semble revêtir une définition claire. Pour autant, la limite avec la commande exceptionnelle est parfois ténue. Ainsi, certains verriers parlent en ces termes : « Mon propre patron en fin d’année me faisait faire, après le travail, des pièces, du gadget, du bousillage pour les clients. Mais cela m’était payé. »
A Bagneaux, le bousillage était réalisé pendant les heures de travail réglementaire. Mais, il ne l’était qu’une fois le quota de pièces de production réalisé et avec « le fond de pot ». Il pouvait également être réalisé lors d’une pause. La bousille n’était pas interdite par la direction, à la condition qu’elle n’entrave pas la production. Lorsque des abus étaient commis, les chefs d’atelier rappelaient à l’ordre les verriers. De fait, ces derniers privilégiaient les moments de la journée où la direction était absente soit tôt le matin, soit la nuit. Un verrier relate : « Dans les années 1960-1970, les verriers de la grand place débutaient la production vers 20h pour la terminer vers 1h ou 2h du matin, puis ils se consacraient au bousillage jusqu’à 4h du matin. Heure à laquelle prenait fin leur obligation de service et à laquelle ils pointaient ». Cette pratique revient dans de nombreux récits.

Pour autant l’on peut s’interroger. Tous les verriers bousillaient-ils ? Les mots de « bousillage », « gadget », « perruque » ou « bricole » reviennent dans la plupart des témoignages quelque soit la spécialité du verrier. Généralement attaché au soufflage à la canne « le bousillage est également pratiqué par les souffleurs de verre au chalumeau ».
Pour autant, si tous semblent avoir vu bousiller, tous ne l’ont pas pratiqué. Ainsi, chez les verriers à la canne, seuls les verriers « de la grande place ou de la demi-grande place ont la possibilité de bousiller ». A cela trois raisons, tout d’abord ils sont seuls à avoir l’espace et le banc nécessaire, les autres places ne possèdent que des mailloches. En second, le quota de production des grandes places est plus faible que celui des moyennes et des petites places. Enfin, tous les verriers n’ont pas la fibre créative. Les témoignages concordent sur la nécessité d’avoir une certaine habilité à créer : «Vous voyez, j’ai fait le gadget comme ça, de tête, sans que personne ne m’est montré, j’ai appris tout seul. », « Je prenais autant de plaisir à faire des pièces industrielles que du bousillage », « J’aimais m’affirmer, faire voir ce que je savais faire (…). Je suis fier et c’est d’une certaine façon être orgueilleux que de faire du gadget », « J’en ai fait des pièces, cela tournait à plein tube », « Mes bousillés, ils sont tous signés. ».

Le bousillage était réalisé à partir du matériel de l’usine : le banc, la mailloche, la palette, les ciseaux et les pinces. Pour autant, l’examen de certains bousillés permet d’affirmer que d’autres outils étaient utilisés. Ainsi, les soupières, les coupes et les pots comportent des motifs à tête de lion ou des pieds en forme de feuille. Or, ces motifs n’apparaissent sur aucune production courante. De même, il existe des vases dits aux « éléphants » et « aux fleurs », ainsi que deux séries de statuettes moulées représentant l’une un « Napoléon », l’autre un « sanglier ». Or, la verrerie ne les a jamais proposés au catalogue. Que devons nous en déduire ? La fabrication d’un outil et a fortiori d’un moule était bien trop chère pour qu’un verrier en fasse l’achat en son nom propre. D’où proviennent donc ces moules et ces pinces spécifiques entreposés dans l’atelier de l’usine ? Etaient-ils achetés par la direction de l’usine ? Par un groupe de verriers ? Et si oui, à quel titre ? S’agissait-il d’un cadeau fait aux verriers ? Pour quelle raison ? Ces moules ont-ils servi à la réalisation de cadeaux à la clientèle ? Provenaient-ils d’autres verreries ? A ce sujet les témoignages des verriers divergent. La question reste ouverte…

Le bousillage est-il une activité dénuée de tout but lucratif ? Non, si les bousillés peuvent être offerts en cadeau à des proches, d’autres sont vendus en dehors du circuit commercial habituel. Durant la Seconde Guerre mondiale et plusieurs années après, le bousillage permit aux verriers d’échanger leur production (alors plus utilitaire qu’artistique) contre des produits alimentaires venant des fermes alentours :
 «En 1942, la vie devint très pénible (...) le pain était répugnant, la viande il n’y en avait pour ainsi dire plus, l’huile, le beurre enfin toutes les matières grasses nous n’en connaissions plus le goût. Pour avoir des denrées à la ferme, il fallait se présenter avec quelque chose en échange : ce qui fut le début du marché noir. En 1942, début février, Monsieur Cardot, directeur, fut remplacé par M. Henet qui fut très bon avec le personnel dans ces moments difficiles. Il nous permettait de bousiller. Tous les verriers ont commencé à fabriquer, après le travail, ce qu’ils pouvaient : bols, saladiers, plats, saloirs, bonbonnes et pichets, tout ce qui était  bon à échanger avec les fermiers. Je me souviens avec Roger Gilles, qui m’aidait dans la fabrication de ces articles pendant la semaine et bien sûr en dehors de notre travail. Alors, le dimanche nous partions en tournée, avec une remorque, notre verrerie était emballée dans de la fibre et nous  partions sur la route avec nos vélos et la remorque derrière. Notre plus grande tournée était celle jusqu’à Malesherbes où nous partions pour la journée. Les commandes que nous avaient passées les cultivateurs, nous les échangions pour des produits alimentaires.» Récit de Léon Régent, verrier à Bagneaux-sur-Loing en Février 1942 (Coll. MDV).

Une fois la guerre passée, les pièces se sont révélées être, pour la plupart, de véritables œuvres d’art. Dans un premier temps, données à l’entourage, les pièces ont acquis une telle réputation locale qu’elles trouvèrent acheteur auprès des antiquaires et des petits revendeurs de la région. Une femme de verrier raconte : « Les bousillés s’étaient des produits, qu’ils faisaient pour eux ou qu’ils revendaient.», « Un jour j’ai retrouvé un bousillé de mon mari, dans une brocante, les antiquaires les achetaient pour les revendre.», Un verrier se rappelle « Certains produisaient des pieds de verre en série, qu’ils revendaient à un petit atelier.», « Le bousillage apportait un plus au verrier.». Enfin, comme le travail à la canne était un travail d’équipe, les bénéfices de la vente étaient partagés. Ce que les témoignages ne nous livrent pas, c’est la proportion représentée par la vente des bousillés, par rapport au salaire du verrier ? Comment étaient répartis les bénéfices au sein d’une équipe?  En outre, il est difficile d’évaluer le nombre de bousillés sortant chaque année de l’usine.

Une certitude est, qu’avec la disparition des grandes halles dans les années 1980, puis l’automatisation des procédés dans les années 1990, et enfin la fermeture des ateliers de travail du verre au chalumeau en 2000, la pratique du bousillage disparaît complètement à l’aube du XXIe siècle. Aujourd’hui, il subsiste une pratique de création de pièces spécifiques pour des cadeaux à la clientèle, voire d’objets commémoratifs. Mais la plupart du temps, il s’agit d’une commande de la direction des verreries, il ne peut donc être question de bousillage.


Les bousillés du musée du verre et de ses métiers : typologie

La collection de « bousillés » a été rassemblée grâce aux dons faits au musée du verre depuis 2001. Les donateurs sont pour la plupart d’anciens verriers. Les objets sont datés d’après 1922.

La collection recouvre quatre champs typologiques :
- Les objets décoratifs : vase moulé, soufflé ou filé, panier, coupe, coupe à panier, statuette, pampille de lustre.
- Les objets utilitaires : coupe à fruits, soupière à tête de lion, cendrier, verre à jambe, vide-poche, presse-papier, pied de lampe, bougeoir, vinaigrier, drageoir.
- Le bestiaire : poisson, éléphant, oiseau.
- Les objets commémoratifs ou à valeur totémique : phallus ou « biroute », coupe.

Parmi ces objets, il faut distinguer ceux réalisés :
- Au chalumeau : Ils sont souvent désignés sous le terme « gadget », plutôt que de « bousillé ». Ils sont généralement de petites dimensions, ce qui leurs confèrent un caractère moins prestigieux que les grandes pièces des verriers à la canne. Pourtant, à observer le travail, celui-ci est, en règle générale, très minutieux. Les verriers au chalumeau travaillent plus souvent les formes animales ou humaines, les verres à jambe et les vases.
- Au tour : Le tour est utilisé dans les ateliers de verrerie industrielle. Les bousillés sont donc réalisés à partir d’un manchon en verre de forte épaisseur et de grand diamètre. Les pièces sont massives et épurées, car le travail au tour ne permet pas l’ajout de motifs décoratifs complexes.
- A la canne : Les pièces présentent un décor varié et complexe. Le verrier dispose d’outils facilitant l’adjonction d’éléments décoratifs. Le verre utilisé est le verre pyrex ou le S747-41. C’est à dire un verre clair à la teinte jaunâtre ou verdâtre. La couleur est présente sur quelques bousillés, pourtant le verre teinté est rare aux usines de Bagneaux. Les bousillés de couleur proviennent-ils donc d’une autre usine du groupe ?
- A la machine : Certaines pièces portent des traces de presse ou de taille. Il s’agit d’objets en verre optique détournés pour en faire des presse-papiers ou un pied de lampe. Il s’agit des pièces les plus récentes.

Edwige Sauzon-Bouit

bloc de verre optique
sciences – techniques ; verrerie,bloc de verre optique,(003.8.47) | sciences – techniques ; verrerie,bloc de verre optique,(003.8.47)
bougeoir
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cendrier
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cendrier
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coupe
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coupe
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coupe
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coupe à fruits
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coupe à fruits
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pampille
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panier
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poisson
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statue
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vase
sciences – techniques ; verrerie,vase,(003.33.3) | sciences – techniques ; verrerie,vase,(003.33.3)
Vase, entre 1950 et 1960, Coll.MDV, Inv.003.5.16
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vase
sciences – techniques ; verrerie,vase,(003.8.95) | sciences – techniques ; verrerie,vase,(003.8.95)
vase
sciences – techniques ; verrerie,vase,(003.8.96) | sciences – techniques ; verrerie,vase,(003.8.96)
vase
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vase
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vase
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vinaigrier
sciences – techniques ; verrerie,vinaigrier,(004.1.2) | sciences – techniques ; verrerie,vinaigrier,(004.1.2)