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Tours (37)

Musée des Beaux-Arts de Tours

Bandeau d'illustration de l'espace WM : Musée des Beaux-Arts de Tours
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Régis Fabre et Pieter Huys

Régis Fabre, Enterlude, photographie, collection FRAC Poitou-Charentes
Régis Fabre, Enterlude, photographie, collection FRAC Poitou-Charentes
Pieter Huys, Le Christ aux limbes, Tours, musée des Beaux-Arts
Pieter Huys, Le Christ aux limbes, Tours, musée des Beaux-Arts

Régis Fabre, né en 1969, vit à Champniers
Enterlude, 2010 ; extrait de la série Les Choses vues
Impression numérique, ed. 1 + 2 ap. ; H. 63 ; L. 48 cm
Acquis auprès de l’artiste, 2012
Collection FRAC Poitou-Charentes, n° inv. 012.4.1

Pieter Huys (vers 1519 – vers 1584)
Le Christ aux limbes, troisième quart du XVIe s.
Huile sur bois ; H. 57 ; L. 54 cm
Legs de Monseigneur Marcel, 1973
Tours, musée des Beaux-Arts, n° inv. 1973-3-2



Né en 1969 à Alès, Régis Fabre a étudié́ la philosophie et les arts plastiques à Bordeaux, avant de s’établir à Angoulême, où il travaille désormais. Résolument attachée à l’Histoire et à la mémoire, sa démarche consiste à extraire de notre quotidien des images qui peuvent passer inaperçues. Ce travail, qui mêle pensées politiques et récits personnels, montre des « choses » qui devraient nous questionner, mais que nous ne voyons plus tant nous y sommes accoutumés. Enterlude (2010) est réalisée à partir de la photographie d’un magazine d’actualité́, simplement recadrée autour d’un panneau d’information touristique de la ville d’Auschwitz. Extraite de la série Les Choses Vues, en référence au recueil posthume de Victor Hugo, Enterlude est très représentative du travail de Régis Fabre, dont les images parfois acerbes, parfois drôles, pointent les travers et les hypocrisies de notre société. 
Le terme anglo-saxon « enterlude » (interlude, en français) renvoie à une idée de divertissement et de pause récréative. C’est également une référence au titre d’une chanson du groupe The Killers, dont les paroles résonnent de manière ironique avec le panneau touristique d’Auschwitz : « Nous espérons que vous appréciez ce séjour ; Et c'est bon de vous avoir avec nous ; Même si c'est juste pour la journée. Nous espérons que vous avez apprécié le séjour ; Dehors le soleil brille ; On dirait que le paradis n'est pas loin ». L’artiste se saisit de signes et de codes connus de tous pour instaurer un malaise et souligner notre manque de recul face au monde. Il interroge également notre rapport au temps qui passe et nous invite à nous remémorer les souvenirs historiques liés au nom d’Auschwitz, symbole d’un enfer moderne, tout en les confrontant à la réalité des activités qui s’y déroulent aujourd’hui. 

Le Christ aux Limbes de Pieter Huys propose une vision plus traditionnelle de l’Enfer, directement inspirée de l'univers si particulier de Jérôme Bosch, grouillant de créatures monstrueuses et hybrides. Les fourneaux en forme d’œufs ou de récipients sont en revanche des éléments propres à ce peintre et graveur originaire d’Anvers. Le tableau représente le moment où Jésus, descendu aux Limbes entre le jour de sa mort, le Vendredi Saint, et celui de sa résurrection, le jour de Pâques, vient emporter au Paradis les bonnes âmes et abandonne en Enfer celles des damnés. Les Limbes, invention tardive de la théologie du XIIIe siècle, accueilleraient les âmes des morts dans l’attente du Jugement dernier. Nimbé d’un halo lumineux en forme de mandorle, le Christ est tourné vers un groupe de repentis représenté au centre. Ils sont entourés de damnés aux corps hybrides et aux visages monstrueux, engloutis dans une gueule béante et dans divers fourneaux dont la forme rappelle le matériel des alchimistes. 

Cette image de l’Enfer chrétien contraste ici avec la photographie du panneau signalétique d’Auschwitz. Si chacune renvoie à une idée de l’Enfer, les codes auxquels elles font référence ne sont pas les mêmes : tandis que l’une représente véritablement le drame et la douleur des corps, l’autre évoque l’horreur des camps de concentration en faisant appel à la mémoire du lieu et souligne la banalisation de cet événement historique en affichant une accumulation de pictogrammes. Avec Enterlude, euphémisation et ellipse révèlent la tension qui existe entre la réalité́ quotidienne de cette ville et l’horreur que son nom suffit à évoquer. 
Entre témoignage du passage de l’Histoire et évolution de la perception des sujets traités, ces deux œuvres suscitent curiosité́ et malaise auprès du visiteur. Dans l’un et l’autre cas, il y a décalage entre ce que l’on voit et ce à quoi il est fait allusion. Le Christ aux Limbes provoque désormais davantage de curiosité, voire d’amusement, que d’inquiétude. À l’inverse, l’ironie grinçante d’Enterlude fait naître malaise et réflexion devant l’effacement, à force d’habitude, des symboles de l’horreur.

Chen Liu