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Série Transfrontalière

TRANSFRONTALIERE

Comment parler de cette frontière, de cette expérience, de ce parcours entre le Nord Pas-de-Calais et la Belgique ? L’envie d’explorer cette région, de me placer dans l’espace de cette frontière qui n’existe plus, qui n’est plus matérialisée, qui est ouverte ; là où aucune trace évidente n’existe pour nous dire : ici c’est la frontière.

De fait cette frontière est partout. Je l’ai cherché car c’était le but de mon travail, le lieu où je me situe pour réfléchir et tenter d’exprimer une relation au paysage. Parcourir cette frontière c’est s’y perdre, s’y découvrir. Je me suis retrouvée dans un no man’s land.

Le temps

Au départ, j’ai commencé à explorer l’ancien bassin minier. J’étais guidée par l’histoire de la mine, des industries, du chemin de fer, de l’émigration italienne. Je m’intéressais aux personnes que je rencontrais, aux populations. Je cherchais à voir ; je commençais un parcours comme on entre dans un livre, vierge et impatiente, avide de trouver les images, les émotions, curieuse et attentive. Il faisait gris, c’était en mars et pendant ce premier séjour je n’ai pas vu souvent la lumière, sauf la veille de mon départ en rentrant de Lille, une lumière sublime, je l’ai traversée sans faire de photo.

La rencontre avec le Nord aura été avide et je l’ai vécue violemment ; c’était une période de bouleversements dans ma vie, la fin d’un cycle et le début d’une épreuve, une période de grande vulnérabilité mais j’étais armée, je n’étais pas démunie, j’étais juste bouleversée. Je suis partie avec l’envie de revenir. Le travail avait commencé.

Le printemps

C’est à ce moment que je me suis vraiment attachée à cette région. Il a fait beau et, dans la lumière, je revenais sur les lieux dont j’étais devenue familière.

J’ai élargi le champ, sillonnant la frontière, la cherchant. J’ai fait des demi-tours, des allers-retours, j’ai commencé à me détacher de la mine. L’appel de la Belgique était fort, j’y suis allée souvent, presque chaque jour. J’ai rejoins Bruxelles par la Nationale, découvrant des lieux qui devinrent ensuite des points fixes dans ma mémoire.

J’ai découvert la lumière des peintres flamands, la Côte d’Opale et la route vers Ostende, Ypres et ses abords, les croisements, les brasseries des postes frontières. J’oublie Valenciennes, une ville où certains quartiers transportent le promeneur hors du temps. J’ai découvert Lille et le quartier de Wazemmes, les réseaux de Lille-Roubaix-Tourcoing que je traversais pour rejoindre des endroits plus calmes où faire halte.

L’été

Toujours la frontière, obstinément. Je cherchais ma place. Je me déplaçais dans des territoires, des régions de rupture et j’ai cette fois-ci découvert l’Est, Maubeuge, les Ardennes et la beauté de Givet. J’ai le sentiment que cette partie du voyage aura éclairé le reste. C’était une route essentielle pour comprendre, pour ressentir et toucher l’histoire de cette région. La Meuse, un fleuve magnifique. Je ne voyais plus que les croix, les chapelles qui bordent les routes. Le christianisme est omniprésent sur la frontière, le protestantisme l’est aussi côté Belge. C’est l’histoire des deux guerres qui a pris le dessus sur la mine ; rentrer dans l’histoire de cette région c’est rejoindre la guerre, les populations polonaises. Je suis entrée dans le temps.

Je repars avec Bernanos, Simenon, le surréalisme, Beaudelot, Van Gogh, Matisse, Yourcenar, le Nord est rempli d’histoires, c’est une région riche d’histoires de déserteurs, de résistants, d’artistes ; dans cette frontière est inscrite la souffrance.

Peut-on raconter le temps ?

Je me rappelle ce couple à la brasserie de la Douane sur une petite route déserte, dans un décor à la Bruegel. Assis tous les deux dans la salle du fond, sans parole, immobiles, et tellement présents l’un et l’autre. Un temps à passer, à vivre ; un temps sans parole ; c’est ça la frontière. Ce couple la résume.

Anne-Marie Filaire

Paris, septembre 2008