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Arras, un musée sous les bombes

Portrait de madame la comtesse de Montesquiou
 
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Portrait de madame la comtesse de Montesquiou

Peints par Nicolas de Largillière dans la première moitié du XVIIIe siècle, ces deux portraits représentent Pierre de Montesquiou, comte d’Artagnan, gouverneur d’Arras, maréchal de France et sa seconde épouse, Élisabeth l'Hermite d'Hieville.

Formé à Anvers puis en Angleterre, Nicolas de Largillière est reçu à l’Académie de peinture et de sculpture en 1687. Il en devient le directeur en 1736. Grâce à sa formation flamande, Largillière déploie une grande virtuosité dans le rendu des étoffes qu’il gonfle en plis bouillonnants, particulièrement dans les portraits qu’il peint de la noblesse et de la haute bourgeoisie. Avec Hyacinthe Rigaud, il est le grand maître de ce genre à la fin du règne de Louis XIV et au début de la Régence.

Les portraits d’Arras reflètent particulièrement l’adresse de Largillière à faire tomber les perruques en cascades sur les soieries des vêtements tout en donnant à ces figures une apparence naturelle. Les portraits du comte Pierre de Montesquiou d'Artagnan et de son épouse figuraient dans la collection personnelle de l’évêque Louis-Hilaire de Conzié avant d’être saisis à la Révolution française. Tous deux figurent dans le premier inventaire du musée en 1795. Ils sont aujourd’hui exposés dans l’une des salles consacrée à la peinture du XVIIIe siècle.

À voir leur état de conservation impeccable, il est difficile d’imaginer à quel point ils sont passés près de la destruction.

 

 Juillet 1914 

Comme beaucoup d’établissements en France à cette époque, le musée d’Arras se veut encyclopédique : en plus d’une magnifique collection de tableaux et de sculptures, les lieux accueillent un fonds important d’archéologie et de sciences naturelles, dont des milliers d’animaux et de minéraux. Malgré la rumeur d’une guerre prochaine, aucune mesure de protection ne semble encore prise au musée d’Arras. Les objets restent à leur place d’attribution dans les différents espaces de l’abbaye Saint-Vaast.

Quelques années auparavant, l’endroit a été photographié par le peintre arrageois Charles Desavary (1837-1885) puis par un autre habitant de la ville, Joseph Quentin (1857-1946), également connu pour ses activités de taxidermiste. Leur passion commune pour la photographie les avait amenés à passer la ville et le musée sous le crible de leurs objectifs…

Leurs clichés sont des documents très précieux pour nous donner à voir la façon dont les collections étaient alors présentées.

 
Joseph Quentin, Le musée d’Arras avant 1914, galerie des peintures modernes, fin XIXe siècle, plaque de verre. Collection du musée.


 Septembre 1914       

La guerre a éclaté depuis un mois et les premiers signes de peur commencent à se manifester. Les Alliés ont reculé partout : dans la Marne, dans les Ardennes, dans les Flandres et la ligne de front se rapproche dangereusement d’Arras.

Que va-t-il advenir du musée ?

L’article 27 de la Convention de la Haye le protège en théorie, sauf s’il est utilisé « à des fins militaires ».

Par peur d’un danger imminent, des inspecteurs du Service des monuments historiques visitent Arras pour essayer de sauver les monuments qui peuvent encore l’être. Que faire des collections du musée : les évacuer ou les laisser sur place ?

L’armée française présente dans la ville pense utiliser les caves de l’abbaye pour les objets considérés comme les plus précieux. Quelles sont les œuvres à sauver en priorité dans une situation d’urgence ?

Ce type de questionnement qui surgit pendant le conflit mondial est toujours d’actualité.

 6 Juillet 1915          

Un été apocalyptique au musée.

Depuis la veille, la cathédrale qui jouxte l’abbaye est prise pour cible par des tirs d’artillerie qui déclenchent un immense incendie. Celui-ci s’étend à l’abbaye et ravage une grande partie des collections. Les trois étages du bâtiment s’effondrent et il ne reste plus, à la fin de l’été, qu’un tas de gravats. La presse et un grand nombre de cartes postales diffusent l’image des ruines comme une preuve supplémentaire des « atrocités culturelles » commises par les Allemands après le bombardement de la cathédrale de Reims et l’incendie de la bibliothèque de Louvain.

Les portraits de Largillière sont sortis indemnes des destructions, mais beaucoup d’autres œuvres ont disparu comme ces tableaux de Camille Corot et d’Evariste Fragonard.

Les animaux et les minéraux laissés dans les salles d’exposition du musée ont presque tous disparu. Seules quelques photographies subsistent. Dès lors, on comprend la valeur documentaire des clichés de Charles Desavary, de Joseph Quentin et de leurs pairs : sans eux, des pans entiers de la collection du musée ne seraient plus qu’un numéro d’inventaire. Là, il reste un élément palpable qui rend compte de leur existence et permet d’en garder une trace. 

 20 août 1915 

La décision d’évacuer les œuvres épargnées vers le sud est prise puisque les caves ne sont pas assez sûres. Des soldats britanniques et français aident le personnel de la mairie à embarquer le plus d’objets possible dans des camions. Un charpentier fabrique des caisses sur mesure. C’est la première fois que les portraits de Largillière sortent du musée depuis leur arrivée après la Révolution française.

Joseph Quentin, Evacuation du musée, 20 aout 1915, 1915, carte postale, Arras, Musée des Beaux-Arts.
Carte postale. Guerre européenne – 98. Arras. 
Musée, Cour de l’Ancien Evêché, emballage et enlèvement des objets d’art sauvés (20 août 1915), 9 x 14,2 cm
Arras, Médiathèque municipale, Ph 6634

 Octobre 1916

Les collections sont évacuées à Paris, au Louvre, mais également à Toulouse. Les portraits de Largillière sont en sécurité loin d’Arras qui est déjà un champ de ruines. Marquées par les destructions, les autorités françaises se lancent dans une nouvelle forme de bataille qui a tout d’une « guerre culturelle » : elles organisent à Paris, au Petit Palais, l’Exposition d’œuvres d’art mutilées ou provenant des régions dévastées par l’ennemi.

Vulgarisée sous le nom d’« Exposition du vandalisme allemand » ou de « Musée des atrocités allemandes », l’exposition soigneusement orchestrée veut montrer l’insensibilité des Allemands aux questions patrimoniales en les présentant comme des « criminels barbares ».

Le lion tombé du beffroi d’Arras effondré y est présenté comme le symbole d’une ville martyre, après avoir été abrité dans la cour d’honneur de l’abbaye Saint-Vaast.

 Mai 1917 

Le carnage d’Arras a servi de leçon : un service de protection et d’évacuation des œuvres d’art est créé par la France, il est attaché à l’Armée britannique pour le front du Nord de la France, avec un service chargé de l’évacuation…

Pour Arras, comme pour d’autres villes du Nord et de l’Est de la France, ces mesures interviennent tard mais permettent de sauver ce qui peut encore l’être. Comme une petite partie de la collection d’avant-guerre, les portraits de Largillière sont présentés au public après la reconstruction du musée dirigée par Pierre Paquet dans les années 30.

Texte : Daniel Bonifacio, Alexandre Holin

Relecture : Célia Fleury, Christina Kott, Anne Labourdette

Nous tenions particulièrement à remercier Anne Esnault, conservatrice du Musée d’Arras, pour sa disponibilité.

Bibliographie

Catalogue de l’exposition, Sauve qui veut. Des archéologues et musées mobilisés, 1914-1918, Forum antique de Bavay et Musée de la Chartreuse de Douai, 2014.

Christina Kott, Préserver l’art de l’ennemi ? Le patrimoine artistique en Belgique et en France occupées, 1914-1918, P.I.E. Peter Lang, Comparatisme et société n°4, Bruxelles, 2006.

Guillaume Ambroise, Annick Notter, Le musée des Beaux-arts d’Arras, Fondation Paribas, Ville d’Arras, Réunion des Musées nationaux, 1998.

Catalogue d'exposition, L'abbaye Saint-Vaast dans la tourmente de la Grande Guerre, Arras, musée des beaux-arts, 2015

 

ACMNPDC

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