logo

Bienvenue sur le Catalogue en ligne des Musées de la Région Centre

La vie des collections

  Gros plan sur une oeuvre :

Eugène Delacroix (1798-1863)
Comédiens ou bouffons arabes
1848

Musée des Beaux-Arts, Tours
Dimensions : 0,96 x 1,03 m
Technique : huile sur toile

Contexte historique

De janvier à juin 1832, Eugène Delacroix accompagne, au Maroc et en Algérie, la mission diplomatique du comte de Mornay, envoyé spécial de Louis-Philippe auprès du Sultan Moulay Abd el-Rahman. Ce périple marque un jalon important dans la carrière du peintre, lui permettant de renouveler ses sources d’inspiration et d’étoffer son répertoire de motifs. Sur place, Delacroix est séduit par l’expressivité des couleurs, la vivacité des costumes et la beauté pure des populations rencontrées qu’il rapproche de la noblesse des peuples antiques. Le peintre rassemble ses impressions et émotions dans des carnets où sont consignés, au jour le jour, croquis, aquarelles et notes qui lui serviront, dès son retour, à l’élaboration de ses compositions.

En 1836, Delacroix exécute, pour le Comte de Mornay, un album d’aquarelles (conservé au County Museum of Art, Los Angeles) dont l’une d’elles figurent des Comédiens ambulants. Dix ans plus tard, le tableau, Comédiens ou bouffons arabes, reprend fidèlement cette composition. Commencé en 1846, il est exposé au Salon de 1848 qui présente la particularité d’être ouvert à tous les artistes sans sélection, sur décision du nouveau gouvernement républicain souhaitant favoriser la liberté de création. L’oeuvre est ensuite achetée par l’administration des Beaux-Arts pour la somme de 2000 francs et déposée au musée des Beaux-arts de Tours.

Analyse de l’image

Le livret du Salon de 1848 indique longuement le sujet du tableau « Ils sont deux et jouent une espèce de parade en plein air, hors des portes d’une ville. Ils sont entourés de Maures ou de Juifs, assis ou debout, arrêtés pour les entendre. » La composition est une synthèse de scènes observées par le peintre à son arrivée à Tanger le 25 janvier. Le tableau reçoit un accueil mitigé de la critique. Les nuées sombres et le paysage verdoyant, au fond du tableau, ne correspondent pas avec les clichés orientalistes du désert aride et du ciel bleu surplombé par le soleil qui plaisaient tant aux européens.


Au premier plan, la description des personnages et de leur costume rend pourtant avec fidélité l’univers coloré intense qui émerveilla Delacroix. L'équilibre chromatique repose sur l’opposition entre la présence de plusieurs touches de couleur rouge et celle du vêtement bleu du jeune homme à droite. Ces différentes tonalités sont reprises dans la représentation des petits personnages à l’arrière plan ainsi que dans la nature morte du premier plan.

Si le parti de la disposition en frise de l’aquarelle de 1836 a été maintenu, le peintre semble gommer les détails de la composition. Par exemple, la nature-morte, au premier plan, très descriptive dans l’aquarelle devient, dans le tableau de Tours, une masse colorée permettant simplement une mise à distance du spectateur ainsi qu’un jeu de rappel des couleurs avec les costumes.


Les différents protagonistes du premier plan sont issus des carnets de croquis du peintre : la jeune femme juive en habits de fête et le garçon en sarouel blanc et tunique bleue ont été représentés dans d’autres compositions. Le musée des Beaux-Arts de Tours conserve d’ailleurs deux croquis à la mine de plomb représentant le second personnage.

Interprétation

Désireux de moderniser leurs sources d’inspiration, les artistes et les écrivains du XIXe siècle sont fascinés par la puissance de dépaysement des contrées orientales. Ils y puisent avant tout de nouveaux thèmes comme les scènes de combats fougueuses et surtout la sensualité des femmes de harem. Pourtant, la plupart des artistes n’ont jamais foulé ces terres et s’inspirent de récits de voyages pour dépeindre un orient fantasmé, celui du Bain Turc de Jean Auguste Dominique Ingres en 1863 (conservé au Louvre). Contrairement à son rival, Delacroix se rend au Maroc, cependant ce n’est que dix ans plus tard qu’il rédige les souvenirs de son voyage. Il en informe d’ailleurs son lecteur :

« Est-il possible de raconter de manière à se satisfaire les évènements et les émotions variées dont se compose un voyage ? […] On conviendra aussi que plus les souvenirs sont récents, plus il est difficile de les fixer de manière à ne pas regretter d’omissions importantes.[…] A une certaine distance des évènements, au contraire, le récit gagnera en simplicité ce qu’il semblerait qu’il doive perdre en richesse de détails et de petits faits. On glissera plus facilement et avec moins de regrets sur beaucoup de circonstances dont la nouveauté peut exagérer l’importance. Il est si difficile de savoir s’arrêter en train d’épanchements ! […] En revanche, je vois clairement en imagination toutes ces choses qu’on n’a pas besoin de noter et qui sont peut-être les seules qui méritent d’être conservées dans la mémoire […]. »

Souvenir d’un voyage dans le Maroc, Delacroix, 1999, p.84-85

Achevé près de seize ans après son retour, Comédiens ou bouffons arabes a fait l’objet d’une longue réflexion dans son élaboration. Comme dans le récit de son voyage, Delacroix libère son art de l’observation méticuleuse pour n’en garder que la dimension poétique et esthétique. Tout en maintenant à distance le pittoresque rêvé de la peinture orientaliste, il livre au spectateur une représentation ardente et exaltée d’une expérience vécue, au moyen de la puissance des couleurs.

Bibliographie :

- Véronique MOREAU, Peintures du XIXe siècle, catalogue raisonné du musée des Beaux-arts de Tours, tome 1, Château d’Azay-le-Ferron, 1999, p.236.
- L’orientalisme dans les collections des Musées de Tours, exposition 3 avril - 8 juin 1980, Tours, 1980, p. 34

Mots clés :
orientalisme – Salon – voyage – XIXe s – peinture – Eugène Delacroix – Maroc – orient – couleur – Romantisme –
souvenirs – comédiens – costumes – paysage – exotisme

Fiche réalisée par Valérie Maillochon, chargée de mission Association des personnels scientifiques des musées de la région Centre et Véronique de Montchalin, professeur missionné auprès de la Drac Centre par le Rectorat d'Orléans Tours, en collaboration avec le musée des Beaux-arts de Tours.