Jean Baffier est né, en 1851, dans une famille de vignerons, établie depuis le milieu du 18e siècle à Neuvy-le-Barrois (Cher). Dans ces confins du Berry, du Nivernais et du Bourbonnais, les principales activités sont la vigne et la forêt (qui fournit des ressources en particulier aux forges et fonderies du val d’Aubois), puis l’élevage. Après la crise du phylloxéra (1878-1886), les parents de Jean Baffier s’installent à la Rencontre, commune de Sancoins, non loin d’une carrière de pierre et du lieu-dit La Croix-Renaud, atelier berrichon du sculpteur. Par ses écrits et par les thèmes de ses oeuvres sculptées, Jean Baffier célèbre ses origines vigneronnes et le travail des champs. Il déplore l’exode rural qui s’intensifie sous la IIIe République et dont il est lui-même un exemple.

Très attaché à ses parents et, plus largement, à sa famille, Jean Baffier a pris ses proches pour modèles : il réalise le buste de sa mère, première oeuvre qu’il offre au musée de Bourges, puis celui de son père. Ce dernier est aussi le modèle de P’tit Jean le greffeux (1886). Enfin, il met en scène ses parents dans deux oeuvres : le Goûter du veau et l’Epine (1890).

Jean Baffier exalte aussi plus généralement le travail des champs, dans une veine illustrée antérieurement par la peinture (François Millet), puis, à partir du quatrième quart du 19e siècle, par la sculpture (Jules Dalou, Constantin Meunier...)

Ses oeuvres montrent de jeunes paysannes pures (l’Angèle, la Mariette, la Jeannette), des paysans burinés (Giraud, le pleumeu de brères), évoquant la rudesse des travaux passés et la sagesse acquise, ou des travailleurs dont la force est soulignée (le travailleur de la terre, aussi appelé mineur du Berry ; le moissonneur... ).

Jean Baffier et les arts décoratifs

A l’exemple d’autres sculpteurs, tels Alexandre Charpentier ou Jean Carriès, Jean Baffier s’est intéressé au décor intérieur, ainsi qu’au mobilier et aux arts de la table. A partir de 1887, il pense à réaliser une salle à manger monumentale, dans une mairie ou un palais du gouvernement. Cette pièce doit célébrer les trois grandes productions agricoles du Berry, le pain, le vin et la viande. Jean Baffier considérait en effet la nourriture comme un élément important des traditions rurales, et il proposait de voir en Sancoins la vraie patrie de Gargantua, que Rabelais aurait détourné du Berry pour en faire un héros de la région de Chinon.

En 1890, Jean Baffier propose à Léon Bourgeois (1851-1925), alors ministre de l’Instruction publique, des Beaux-Arts et des Cultes, de créer une cheminée monumentale illustrant le Berry rural. Le Ministre accepte, et fait estimer la réalisation de l’oeuvre à 40 000 francs. Jean Baffier crée des séries de maquettes, s’inspirant entre autres des cheminées décorées du palais Jacques Coeur de Bourges. De part et d’autre du foyer, il installe deux paysans-atlantes courbés, tandis que sa mère, en buste, est placée au linteau surmontant le foyer. Le manteau est décoré de reliefs, parmi lesquels des scènes de vendanges, des groupes de jeunes couples, ou le relief Maternité. Jean Baffier en présente une maquette au Salon de 1898, sous le titre de « Pour la tradition celtique ». Il prévoit d’autres éléments muraux, comme l’horloge lavabo, association hygiéniste curieuse, tout autant par sa conception, que par sa réalisation, ainsi qu’une frise de laboureurs et un décor peint de moissons et de pâturages.

Dans sa salle à manger, Jean Baffier imagine une table en chêne de 16 mètres de long, présentant un surtout de table, en étain et en cuivre. A partir de 1890, il modèle régulièrement des candélabres ou des récipients appartenant à cet ensemble, les faisant fondre par des fondeurs comme Gruet aîné ou Siot-Decauville, jusqu’à atteindre la réalisation de 65 pièces différentes. Elles associent des motifs végétaux et animaux à une ligne générale souvent souple, et à des personnages en costumes traditionnels. Des Berrichonnes portent des vans ou des corbeilles, et des garçons bouchers supportent des soupières, pour soupes à la viande. Tout en s’inscrivant, de manière précoce, dans l’inspiration végétale et les formes douces de l’art nouveau, Baffier reste très singulier par l’usage de la figure humaine dans cette vaisselle de table.

Si la cheminée monumentale resta à l’état de maquettes, plusieurs pièces du surtout furent achetées par l’Etat (corbeille et soupière déposées au musée de Bourges), par la ville de Paris et bien d’autres par des particuliers ; les musées de Nevers et de Bourges, ainsi que le musée du
Petit-Palais à Paris, en possèdent donc des exemples.

 Extrait de la publication : Jean Baffier sculpteur français (1851-1920), Béatrice de Chancel-Bardelot, exposition du 16 octobre 2009 au 19 avril 2010, Bourges, 2009